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Alerte n°76 – Les investisseurs ne peuvent ignorer perpétuellement les bilans

Par 11 juin 2020Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Malgré un « rush » frénétique sur les actions ces dernières semaines – en partie sur l’hypothèse que les banques centrales ne « permettront » pas que les actions chutent – on ne peut ignorer la réalité des bilans. L’endettement signifie encore quelque chose.

Pour ceux qui douteraient de l’importance de l’endettement, à l’ère où les banques centrales répriment le coût du service de la dette, demandez leur avis à une banque ou un fonds détenteurs d’actifs qui sont des instruments de dette : ils vous diront qu’ils s’attendent à être remboursés.

Les loyers d’appartements ou de magasins de vente au détail s’apparentent à de la dette. Les propriétaires s’attendent à être payés selon un échéancier prédéfini.

Beaucoup de loyers n’ont pas été payés, ces derniers mois, dans un contexte où locataires et propriétaires sont convenus de reporter les paiements sur une courte durée.

Alors il est bon de se rappeler – alors que les entreprises « rouvrent », que les revenus rebondissent et que les emplois reviennent – que beaucoup de ces paiements différés vont devoir être honorés, eux aussi.

Les investisseurs identifieront rapidement le risque lié au fait de détenir des actions de sociétés qui se sont lourdement endettées pour passer le cap.

Notre dernière recommandation, Burlington Stores (NYSE : BURL) fait partie de la longue liste d’entreprise qui se sont lourdement endettées, récemment. Son bilan actuel est bien plus médiocre que sa version pré-coronavirus. Burlington se range dans la catégorie des détaillants discount populaires, comme TJ Maxx et Ross Stores.

Dans notre alerte du 3 juin, Jim a souligné que Burlington possédait une trésorerie d’environ 1,5 Md$, à l’heure actuelle. Mais elle provient essentiellement d’une émission d’obligations. La société affiche un endettement à long terme de 2,3 Mds$, des engagements de 2,4 Mds$ liés à des locations opérationnelles et 702 M$ de dettes fournisseurs.

Voici la synthèse de Jim :
« Les consommateurs épargnent au lieu de dépenser. BURL a abandonné sa plateforme de vente en ligne au début de l’année 2020. Les énormes coûts de ses stocks sont difficiles à supporter lorsque les recettes se tarissent.
Burlington est une marque bien connue, mais les barrières à l’entrée sont plutôt faibles, dans son secteur. Son modèle économique ressemble à celui du secteur de la voiture d’occasion, en ce moment : trop de stocks, pas assez de demande et des offres promotionnelles qui cannibalisent les profits. »

Nos modèles concluent résolument que Burlington Stores est une entreprise de faible qualité allant à l’encontre d’importantes tendances présentes dans le secteur de la vente au détail. Burlington ne pratique pas la vente en ligne. De plus, la société a suffisamment de dettes pour faire paniquer les actionnaires la prochaine fois qu’ils s’inquièteront des niveaux d’endettement.

Je vais souligner d’autres aspects de l’action BURL, que nous trouvons préoccupants…

Burlington affiche une capitalisation boursière de 14 Mds$.

Voici ce que signifie cette capitalisation, dans le sens théorique du terme : les investisseurs anticipent que la valeur actualisée des futurs flux de trésorerie que Burlington génèrera – sur toute la durée de sa vie d’entreprise – s’élève à 14 Mds$. Ce flux de trésorerie est actualisé (« discounted cash flow » ou « DCF ») selon un taux d’actualisation égal au taux de rendement de l’action attendu par les actionnaires.

Par exemple, si les investisseurs pensent que Burlington va générer 1 Md$ de trésorerie disponible en 2030, la valeur actuelle de cette somme est de 463 M$, dans l’hypothèse d’un taux de rendement annuel attendu de 8%. Cela part du principe que Burlington évitera la faillite avant 2030, ce qui n’est pas garanti. Nous pensons qu’un taux de rendement attendu très élevé est approprié, pour une entreprise aussi risquée.

En d’autres termes, il existe un moyen rapide d’estimer le taux de rendement attendu d’une action, à un cours donné : le ratio P/E (PER, ou ratio cours/bénéfice). Si l’on exige un taux de rendement élevé pour détenir une action risquée, alors on l’achète quand elle affiche un PER très bas.

Le grand nombre d’actions affichant des PER élevés, sur le marché actuel, signifie que les investisseurs acceptent des rendements à long terme très faibles (même s’ils ne s’en rendent pas compte). Vraisemblablement, ils s’attendent à revendre le titre à un cours plus élevé. Mais le prochain acheteur doit être prêt à accepter un rendement à long terme encore plus faible, en détenant cette action.

Pour déterminer les attentes des investisseurs concernant une action spécifique, nous prenons souvent en considération les modèles de flux de trésorerie actualisés « inversés ». Ces modèles s’efforcent de calculer le rendement attendu qu’implique le cours actuel de l’action.

Selon le modèle StarMine de Refinitiv, les actionnaires détenant l’action à son cours actuel espèrent qu’une fois que les bénéfices de Burlington se seront normalisés – après le coronavirus, en 2021 – le taux de croissance composé des bénéfices sera de près de 20% sur cinq ans d’affilée.

Inutile de le préciser, la barre est particulièrement haute. Les attentes sont déjà extrêmement élevées. Alors pour gagner de l’argent, à partir de là, les actionnaires de BURL devront trouver des investisseurs aux attentes encore plus élevées à qui revendre le titre.

Nous sommes également frappés que Burlington ait eu recours à l’émission d’obligations convertibles pour lever des fonds en cette période difficile…

En avril 2020, Burlington a levé 805 M$ via l’émission d’obligations convertibles à 2,25%, remboursables en 2025. Le prix de conversion est de 220 $.

Les actions des entreprises ayant un bilan médiocre et émettant « en série » des obligations convertibles (comme Tesla et Wayfair) attirent dans leur actionnariat des short-sellers (vendeurs à découvert) spécialisés dans l’arbitrage d’obligations convertibles.

Traditionnellement, ceux qui investissent dans les obligations convertibles détiennent des obligations et couvrent leur exposition à l’action sous-jacente en vendant à découvert (short-selling). Ils ne veulent pas détenir une option d’achat rattachée à une action qui ne vaudra peut-être plus rien, si la société fait faillite avant la date de maturité des obligations.

Dans le contexte d’une faillite, les détenteurs d’obligations convertibles ne récupèrent souvent qu’un faible pourcentage du principal. Par conséquent, lorsque le cours de l’action d’une entreprise – ayant émis « en série » des obligations convertibles – tend à baisser, ceux qui ont investi dans ces instruments renforcent leurs positions « short » afin de limiter leur exposition à un éventuel défaut de remboursement.

Burlington a également levé 300 M$ via l’émission d’obligations seniors prioritaires de même rang (« pari passu ») que le prêt à terme existant remboursable en 2025. Cela signifie que ces obligations ont une priorité égale à celle du prêt à terme, dans la structure du capital. Cette émission d’obligations a conduit l’agence de notation S&P Global Ratings à dégrader la note du prêt à terme de Burlington de BB+ à BBB-.

Bref, BURL est une action affichant une capitalisation boursière de 14 Mds$, et qui est susceptible de s’effondrer parce qu’elle a grimpé en même temps que d’autres actions dont les bilans sont médiocres.

Ces dernières semaines, les investisseurs ont choisi d’ignorer le fardeau des dettes pesant sur de nombreuses actions. C’est le genre de chose qui peut persister sur une courte période, mais pas trop longtemps. Au fil du temps, les actionnaires ont tendance à se faire écraser sous le poids des dettes d’entreprises dont les bénéfices reposent sur des fondamentaux médiocres.

Il suffirait que l’aversion au risque monte d’un cran, seulement, pour que l’action BURL s’effondre de 20 à 30% en quelques semaines.

Gaël vous enverra des actualisations concernant vos positions sur Burlington Stores.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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