Cher lecteur,
Préparez-vous à la pire saison des résultats depuis 2008.
D’ici fin avril, beaucoup de grandes entreprises auront publié leurs résultats du 1er trimestre. Une fois ces chiffres publiés, les investisseurs auront une idée plus précise de ce à quoi vont ressembler les profits, à l’avenir.
Les équipes de direction diront que tout se passait bien jusqu’à ce que l’économie mondiale ne soit stoppée par le coronavirus. Et beaucoup brosseront un tableau indiquant un retour à la normale, une fois que la première vague du virus sera passée, et que les entreprises rouvriront.
Mais on ne peut observer tous les bouleversements qui se produisent sur un système complexe fragile tel que l’économie mondiale, et en conclure de manière réaliste que « les affaires reprendront » en un clin d’œil.
L’économie mondiale est un système complexe.
C’est un sujet que Jim a souvent abordé dans ses livres et de nombreux articles. Ce système complexe ne peut être bouleversé à ce point par les fermetures puis, d’une certaine façon, se remettre en place comme par magie.
Bien qu’un certain nombre de personnes soulignent à juste titre que le coronavirus va se dissiper et que les activités reprendront, il est incontestable que des dégâts irréversibles sont en train de se produire sur l’économie, le goût du risque et la trajectoire probable du comportement des consommateurs.
Il est probable que le consommateur américain se rapproche davantage du consommateur japonais, dans la mesure où les « baby-boomers » vont s’adapter à un budget de type retraité plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu.
La gigantesque JPMorgan possède des données internes relatives à l’économie américaine, qui sont de bien meilleure qualité que celles de pratiquement toute autre entité. Et la banque se prépare à une tempête économique colossale. Dans ses résultats publiés le 14 avril, elle a augmenté de manière stupéfiante ses provisions pour pertes sur cartes de crédit.
Ces provisions ont bondi de 34% sur un seul trimestre, passant de 11,2 Mds$ au 1er janvier à 15 Mds$ le 31 mars. Cette augmentation brutale des provisions pour pertes signifie que le département crédit de la banque prévoit une hausse brutale des défauts de paiement sur les cartes de crédit, à court terme.
JPMorgan souligne également quelques tendances intéressantes, par catégorie de dépenses de consommation réglées par carte de crédit.
Le phénomène de « gueule de bois » suivant les ventes record réalisées dans les supermarchés est déjà là. Après avoir bondi brutalement mi-mars, les dépenses réglées par cartes de crédit chez de gigantesques détaillants, tels que Walmart, Target et Kroger, ont ralenti fin mars.
Ces détaillants vont probablement signaler un effet « mitigé » négatif sur les marges bénéficiaires brutes. Ils ont vendu une quantité record de produits ménagers à faibles marges, mais à présent ils vendent beaucoup moins, dans la mesure où les achats de produits de première nécessité ont déjà été réalisés.
Le segment « tourisme et divertissement » est celui qui affiche la baisse la plus radicale, en ce qui concerne les « cartes de crédit » JPMorgan. La chute est de près de 100% d’une année sur l’autre, à dater de la dernière semaine de mars.
Notre dernière recommandation, Uber Technologies Inc. (NYSE : UBER), appartient à cette catégorie « tourisme et divertissement ». Jim a décrit les tendances inquiétantes que nous identifions dans le modèle économique d’Uber, dans notre alerte de la semaine dernière.
Nous avons « épluché » le compte de résultat et les notes de bas de pages de la déclaration 10-K d’Uber. Et nous pensons que le résultat net d’Uber va être extraordinairement mauvais sur plusieurs mois, à compter de mars 2020.
Certains analystes optimistes, à Wall Street, brandissent ce qu’ils considèrent comme le « modèle économique à coût variable » d’Uber. Toutefois, nous pensons que les coûts fixes d’Uber, au sein de tout son écosystème, sont bien plus élevés qu’il n’y paraît, car ils sont assumés par les chauffeurs d’Uber.
Des consultants spécialisés dans le transport ont publié des chiffres indiquant que la plupart des chauffeurs d’Uber gagnent moins que le salaire minimum, si l’on prend en compte la part qu’ils reversent à Uber à chaque course, plus l’entretien de la voiture, les dépréciations, l’essence, les péages, l’assurance et autres frais semblables.
La plupart des coûts fixes sont absorbés par les chauffeurs qui se sont retrouvés, ces dernières semaines, avec énormément de périodes inactives, ne générant aucun revenu.
Et pourtant, les actionnaires d’Uber ne peuvent prétendre être à l’abri des médiocres performances des activités de VTC en période de récession.
Non, ils ne le peuvent pas, car ils sont liés à la situation des chauffeurs d’Uber, tout comme les franchiseurs de chaînes de restaurants sont liés à la situation de leurs franchisés.
Si les chauffeurs d’Uber ne gagnent pas assez pour vivre, ils abandonneront pour faire autre chose, ou bien exigeront d’Uber une part plus élevée de la course.
Les autres états financiers d’Uber sont également préoccupants. L’état consolidé des fonds propres indique que les 8 Mds$ levés auprès des investisseurs dans le cadre de son introduction en Bourse représentent la seule injection substantielle de capitaux, en 2019.
Le chiffre qui ressort du compte « primes d’émission » d’Uber reflète la conversion de dettes en actions. Il n’y a donc eu aucune injection d’argent, lors de ces transactions. Pourtant, ces transactions ont motivé la majeure partie de l’augmentation de plus de 276% des actions en circulation enregistrée l’an dernier : le nombre d’actions UBER en circulation est passé de 547 millions en décembre 2018 à 1 717 milliards en décembre 2019.
Si l’on se tourne vers l’état des flux de trésorerie d’Uber, on découvre que l’impact le plus positif sur sa trésorerie d’exploitation, en 2019, est un « add-back » [NDLR : dépenses qui ne sont pas considérées comme « réelles », ajoutées au bénéfice d’exploitation avant impôts] de 4,6 Mds$ correspondant à des rémunérations en actions. C’est une pratique dont les sociétés de la Silicon Valley abusent pour communiquer des informations financières « non-GAAP » [NDLR : extra-comptables].
Pourtant, il s’agit bien d’une dépense réelle pour les actionnaires, car elle augmente le nombre d’actions en circulation au fil du temps. Et elle est également réelle car les salariés exigeraient des salaires plus élevés s’ils ne tiraient par un revenu supplémentaire de l’exercice ou de la vente de leurs stock-options.
Uber a « brûlé » 4,3 Mds$ de trésorerie d’exploitation, en 2019… Et ce à une période où les performances de l’économie mondiale étaient relativement correctes. En fait, elle a plutôt « brulé » 8,9 Mds$, si l’on ne prend pas en compte ces « add-back » des rémunérations en actions.
Si l’on se base sur la baisse brutale des activités d’Uber en mars, et la façon dont cela va probablement se passer en 2020, Uber pourrait « brûler » 6 à 8 Mds$ de trésorerie de plus, en 2020.
Même en prenant en compte la réduction des coûts, étant donné la gravité de cette baisse de revenu, le solde de trésorerie d’Uber devrait dégringoler – d’ici décembre 2020 – vers une fourchette variant de 3 à 5 Mds$, par rapport aux 11 Mds$ de décembre 2019.
Hier à la clôture, l’action Uber cotait aux alentours de 27,41 $. La capitalisation boursière d’Uber demeure élevée, à 47,4 Mds$.
Uber pourrait probablement lever quelques milliards de dollars dans le cadre d’une nouvelle émission d’actions. Le conseil d’administration pourrait considérer que c’est une solution permettant de regarnir les coffres, d’ici peu. Mais cette émission n’aurait pour vocation que de maintenir l’activité, et non de mener une nouvelle stratégie de croissance.
Les actions Uber semblent très achetées. Le titre pourrait plonger si le marché repère que la cotation d’UBER est très loin d’une évaluation reflétant les risques liés à l’exercice de ses activités dans un environnement économique affaibli.
Bien à vous,
Dan Amoss, CFA
Analyste