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Alerte n°74 – CarMax pourrait être frappé par le risque grandissant dans le secteur du financement des voitures d’occasion

Par 29 mai 2020Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

La déclaration de faillite du loueur de voitures Hertz, vendredi dernier, a rappelé dans la douleur que beaucoup d’entreprises dépendent de la stabilité du marché des voitures d’occasion.

Je vais souligner l’une des raisons clés de cette faillite de Hertz, puis j’expliquerai ce que cela signifie pour notre dernière idée de trade, CarMax.

Le déclin brutal de l’activité économique américaine, et le pic du chômage, ont révélé un problème qui couvait depuis longtemps : il y a trop de crédits-autos à risque, et l’offre est excédentaire au sein de l’écosystème des voitures neuves et d’occasion.

Dans le cas de Hertz, sa déclaration de faillite révèle à quel point la baisse de la valeur des voitures d’occasion, en mars et avril, a déclenché une crise de liquidité dans l’une de ses filiales. Cette filiale possédait une flotte de voitures qu’elle louait à la branche location.

La flotte de Hertz était détenue sur la base d’un endettement élevé, financée essentiellement avec de l’argent emprunté sur le marché des ABS (Asset-Backed Securities : titres adossés à des actifs).

Lorsque les indices de prix des voitures d’occasion (tels que le Manheim Used Vehicle Value Index) ont chuté, en mars et en avril, les créanciers de Hertz, sur le marché des ABS, ont forcé l’entreprise à payer une dépréciation plus élevée que prévue sur les véhicules d’occasion pour qu’elle puisse continuer à avoir accès à sa flotte.

Ces créanciers voulaient être sûrs de récupérer tout leur argent, et de ne pas se retrouver, en guise de collatéral, avec des voitures d’occasion valant moins que ce qu’ils avaient prêté.

Hertz a assumé la responsabilité financière d’une dépréciation rapide et imprévue de sa flotte de véhicules. Dans le jargon des loueurs de voitures, ces véhicules sont qualifiés de « nonprogram vehicles » : ils ne font pas l’objet de programmes de « dépréciation garantie », ou de rachat, de la part des constructeurs automobiles qui les ont produits.

Il y a des années, les flottes des loueurs de voitures bénéficiaient souvent de programmes de dépréciation garantie proposés par les constructeurs automobiles. Mais ces derniers se sont rendu compte que c’était un choix court-termiste visant à stimuler les ventes, au détriment des coûts de dépréciations à long terme, alors ils n’accordent plus aussi souvent ces garanties aux loueurs de voitures.

Si Hertz décidait de ne pas honorer ces paiements couvrant une dépréciation imprévue avant l’échéance du 27 avril, les investisseurs du marché des ABS avaient le droit de saisir la flotte et de la liquider pour récupérer leur argent.

Les négociations sur un défaut de paiement de Hertz ont duré un mois mais n’ont rien donné, et la société s’est déclarée en faillite vendredi dernier, dans une démarche visant à conserver un peu de trésorerie sur son bilan, au lieu d’honorer ces paiements.

Hertz a fait la remarque suivante, dans sa requête (« first-day motion », disponible en PDF ici, sous le Docket #16) : « Une diminution brutale et imprévue de la valeur des véhicules d’occasion, provoquée par la crise du coronavirus, a contraint l’entreprise à effectuer un paiement substantiel, à échéance 27 avril 2020, en rapport avec le principal mécanisme de financement de sa flotte de véhicules américaine. La société a décidé de ne pas dépenser ses précieuses liquidités et n’a pas effectué ce paiement. »

La fin de Hertz, due à une montagne de dettes et à son exposition à une baisse de la valeur des véhicules d’occasion, a des conséquences sur notre dernière recommandation : CarMax Inc. (NYSE : KMX).

Cette entreprise comporte deux divisions : CarMax Sales Operations (ventes de voitures) et CarMax Auto Finance (CAF, crédit automobile).

La division CarMax Sales Operations concerne la commercialisation des voitures et les activités de service (sauf les services financiers fournis par CAF).

La division CAF est semblable à une banque qui possède une créance résiduelle sur les crédits automobiles qu’elle a émis, puis la vend pour être titrisée en ABS. CAF est un établissement financier qui accorde des prêts aux clients achetant des véhicules d’occasion chez un revendeur.

Comme n’importe quelle banque, CAF gagne de l’argent si elle parvient à accorder des prêts dont la performance est conforme aux attentes. Mais cette division peut perdre de l’argent (et perdre sa réputation auprès des investisseurs du marché des ABS) si les crédits autos qu’elle a émis par le passé enregistrent un pic de défauts de paiement.

Comme Jim l’a précisé dans notre alerte du 20 mai, CarMax va également crouler sous les défauts de paiements de clients existants et ne pouvant plus rembourser leurs crédits s’ils perdent leur emploi.

Jim a également souligné un fait intéressant, à savoir que CarMax puise ses origines chez Circuit City, un détaillant qui n’existe plus.

En 1996, Circuit City a opéré une scission qui a produit deux sociétés : Circuit City Group et CarMax Group. Le 7 février 1997, Circuit City a bouclé l’introduction en Bourse de KMX en opérant un « split-adjusted » (multiplication du nombre d’actions en divisant la valeur nominale du titre) de 10 $ par action.

Je le précise car les investisseurs semblent sous-estimer l’ampleur du levier de KMX sur le cycle des voitures d’occasion. CarMax a failli disparaitre lors du cycle baissier qui a frappé le marché des véhicules d’occasion à la fin des années 1990. L’action s’est effondrée de 93% – par rapport à son cours d’introduction de 10 $ – jusqu’à 0,66 $, début 2000.

Aujourd’hui, CarMax a beaucoup plus d’envergure, avec une base de chiffre d’affaires et une implantation bien plus vastes. Mais la société a également beaucoup plus de coûts. La direction a dû prendre des mesures extrêmes, en réaction à l’effondrement des ventes.

A compter du 18 avril 2020, et en réaction au blocage provoqué par le coronavirus, CarMax a mis au chômage technique 15 500 salariés. La société comptait 27 050 salariés en février 2020. Certains d’entre eux seront probablement réintégrés lorsque les concessions rouvriront leurs portes.

Toutefois, les finances de chaque point de vente CarMax seront loin d’être aussi bonnes que lors de la dernière publication des résultats trimestriels (s’achevant en février) pendant un bon moment. La demande en faveur de véhicules neufs et d’occasion va être très réduite durant plusieurs trimestres, à l’avenir, car le marché de l’emploi restera difficile.

Par ailleurs, les constructeurs automobiles vont probablement déployer des offres et réductions inédites pour pouvoir vendre leurs stocks, au cours des mois à venir. Pour CarMax, la concurrence des concessionnaires de voitures neuves va devenir plus intense que jamais en dix ans.

Permettez-moi de revenir à la question suivante : quel est le rapport entre la faillite de Hertz et CarMax ?

  • Premièrement, elle a un impact sur les activités de détail de CarMax. La liquidation d’un fort pourcentage des 500 000 voitures de la flotte Hertz, aux Etats-Unis, va faire baisser la valeur des voitures d’occasion.

    Le marché annuel des voitures d’occasion représente environ 16 millions d’unités, aux Etats-Unis (il sera clairement inférieur à cela en 2020).

    Environ 8 millions d’unités proviennent de concessionnaires de voitures neuves qui reprennent des véhicules anciens lorsqu’ils vendent une voiture neuve.

    Environ 4 millions d’unités proviennent du marché des véhicules arrivés en fin de leasing (« off-lease »). Ce volume a augmenté, ces dernières années, en raison de la popularité grandissante du leasing, au milieu des années 2010.

    Et enfin, 1,5 million d’unités provenant des loueurs de voitures débarquent chaque année sur le marché de la vente en gros de voitures d’occasion. L’impact d’une grande liquidation de la flotte Hertz pourrait faire grossir de plusieurs points de pourcentage l’offre de véhicules d’occasion, cette année, et cela fera baisser les prix à un moment où l’on vend peu de voitures d’occasion. Or une baisse des prix signifie que, dans son rapport financier attendu mi-juin, CarMax va peut-être devoir comptabiliser des frais sur les 2,85 Mds$ que représente son stock de voitures d’occasion. Les activités de détail de CarMax ciblent traditionnellement une marge brute par véhicule vendu s’élevant à une certaine somme. Toutefois, lors de la conférence téléphonique du 2 avril commentant les résultats, la direction a expliqué qu’elle envisageait de réduire nettement ses stocks au cours du trimestre s’achevant en mai 2020 (cette semaine, donc). D’autres revendeurs de voitures neuves et d’occasion ont cruellement besoin de vendre, également, alors il est probable qu’ils proposeront des prix très attractifs.

  • Et, deuxièmement, la faillite de Hertz pourrait altérer la rentabilité de la division financement de CarMax, à l’avenir. L’expérience de Hertz est une douche froide révélant que les tonnes d’argent empruntées sur le marché des ABS, pour financer les achats de voitures, est quelque chose de très risqué. Les prêteurs du marché des ABS ont pris de nombreuses dispositions légales pour se protéger d’une baisse du collatéral de la flotte Hertz. Mais ils se méfieront davantage des risques, à l’avenir, probablement, ce qui pourrait générer des coûts de financement plus important, pour CarMax Auto Finance (CAF).

En février, CAF affichait 13,55 Mds$ de crédits autos en cours (dus) sur son bilan. Ces crédits ont été financés par 13,59 Mds$ de billets à ordre dits « non recourse notes »  [NDLR : littéralement, billets à ordre sans recours]. Cela signifie que les investisseurs qui détiennent ces 13,59 Mds$ d’instruments n’ont aucun recours sur les actifs de CarMax au-delà des sommes dues, des dépôts dans les comptes de réserve et de l’encaissement des crédits autos.

En finançant entièrement ces prêts par l’endettement, CAF compte sur le fait que la marge d’intérêt nette ou le spread (écart) entre les intérêts perçus sur les crédits auto et le coût des billets à ordre va rester très important. En moyenne, cet écart a varié de 5,6% à 6,1% au cours des cinq derniers exercices, alors, jusqu’à présent, c’était plutôt un bon pari.

Toutefois, l’expérience vécue avec Hertz par les prêteurs du marché des ABS, plus le risque d’une nouvelle baisse des prix des voitures d’occasion, signifient que les coûts de financement de CAF vont probablement augmenter au cours des prochains trimestres. Et cela va probablement coïncider avec un pic brutal des défauts de paiement sur les 13,55 Mds$ de crédits autos en cours.

Cette conjonction signifie que la trésorerie « résiduelle » que CAF pourra collecter sur ces crédits sera certainement plus réduite que prévu.

Lors de la conférence téléphonique du 2 avril, Thomas Reedy, vice-président exécutif de CarMax, a expliqué la chose suivante :

« Au bout du compte, il existe un risque que nous ne collections pas autant de trésorerie que prévu initialement. Mais il pourrait se poser des risques, sur le plan de la réputation, en cas de groupes de prêts [accordés par CAF] non performants. Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est sans recours, et nous n’aurions rien à débourser ou à faire pour les sauver. En ce qui concerne le risque lié à la réputation, je pense qu’il est un peu discutable car CarMax ne sera pas tout seul sur cette barque, dans la mesure où les ABS-auto commenceront à être compromis. Et si l’on remonte à la Grande Récession, nous avons constaté une hausse considérable des pertes mais aucun défaut. Tout le monde a été payé, nous y compris. »

Bien que CarMax ne soit pas confronté au même type de risque de liquidité que celui que Hertz a rencontré sur le marché des ABS, l’entreprise est exposée « à rebours » aux défauts survenant sur le marché des ABS.

Autrement dit, le mécanisme de financement peu coûteux et facile des voitures d’occasion, les rotations de stocks rapides, l’augmentation du nombre de concessions CarMax et le levier opérationnel positif vont tous s’inverser, au cours des prochains trimestres.

Depuis la mi-mars, le consensus de Wall Street a revu à la baisse les estimations du bénéfice par action (EPS) de CarMax concernant l’exercice fiscal s’achevant en février 2021 : elles ont chuté de 5,60 $ à 2,65 $. Cela semble trop élevé. Je pense qu’il y a une grande chance que CarMax perde de l’argent sur l’exercice fiscal 2021 car, selon ce que j’ai vu, les modèles des analystes sont trop optimistes sur les principaux moteurs des activités de CarMax.

Normalement, CarMax publie ses résultats trimestriels autour de la troisième semaine de juin. Considérant à quel point le titre a grimpé par rapport à ses plus bas de mars, nous pensons qu’il va baisser brutalement avant la publication des résultats financiers ou au moment de celle-ci.

Gaël vous enverra des actualisations concernant vos puts sur CarMax.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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