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Alerte n°80 – Attention ! Les investisseurs se croient à nouveau invulnérables

Par 26 juin 2020Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Les investisseurs se croient une fois de plus invulnérables, très assurés que le marché baissier est terminé car la « Fed assure leurs arrières ».

Mais quelle entité soutient véritablement les investisseurs ? Qui assure leurs arrières ?

  • Pas la Fed, car la Fed n’achète pas d’actions. La Fed fait déjà un exercice d’équilibriste, politiquement, en achetant une petite quantité d’obligations d’entreprises. C’est une démonstration de force pour tenter de raviver le goût du risque. La Fed préfère voir les investisseurs du secteur privé acheter des actifs risqués que prendre le risque politique d’acheter elle-même des actifs risqués.
  • Pas les programmes de rachats d’actions des entreprises, qui représenteront des centaines de milliards de moins en 2020, par rapport à 2019.
  • Pas les investisseurs étrangers, qui sont déjà saturés d’actions américaines après les avoir accumulées pendant des années.
  • Pas les investisseurs institutionnels, dont la plupart ont l’obligation stricte de rééquilibrer leurs portefeuilles en prenant leurs distances avec les actions et en se reportant sur les obligations lorsque les actions surperforment.

Voici ce qui assure les arrières des investisseurs haussiers, au bout du compte : la masse d’argent frais provenant des investisseurs haussiers.

Dernièrement, les médias se sont énormément intéressés à une nouvelle génération de « day traders » qui utilisent les versions modernes des forums des années 1990, sur internet, pour partager leurs idées de trade.

La qualité de ces idées est extrêmement médiocre, comme le montre la récente frénésie d’achat sur des actions d’entreprises en faillite, comme Hertz, qui ne valent clairement rien, et d’entreprises en difficultés, comme Americain Airlines, qui pourraient ne plus rien valoir d’ici la fin de l’année 2020.

Néanmoins, une idée populaire temporaire (peu importe qu’elle ait fait l’objet de très peu d’analyses) peut avoir un effet surdimensionné sur la détermination des cours du marché.

Pourquoi ?

Je pense qu’il s’agit de la conjonction suivante : la faible profondeur des carnets d’ordre, en ce qui concerne beaucoup d’actions, et les firmes de trading haute fréquence qui sont les premières à remarquer les comportements frénétiques des petits investisseurs.

Lorsque les sites de courtage en ligne sont passés au modèle économique « sans commission facturée », dans la foulée du pionnier Robinhood, le rythme des mini-pics et des mini-krachs d’actions spécifiques a semblé se multiplier.

En effet, le trading haute fréquence achète les « flux d’ordres » des sociétés de courtage qui ne facturent pas de commissions.

Par conséquent, non seulement le trading haute fréquence court-circuite les ordres des petits investisseurs mais cela lui fournit également – ainsi qu’à d’autres spécialistes du trading algorithmique – des informations de marché.

Il se pourrait que cette génération de petits investisseurs adeptes du day trading influence le cours des actions bien au-delà de ce que l’on pense en général. Le pouvoir d’achat des petits investisseurs a été multiplié par la façon dont le système de trading a évolué.

Autrement dit : les cours de bon nombre d’actions sont fixés par les investisseurs les moins informés et les moins expérimentés, car leur pouvoir d’achat est amplifié par les achats du trading haute fréquence.

Si l’on ajoute ce phénomène à une tendance à l’investissement passif colossale (les fonds indiciels et les ETF), on obtient un marché qui est essentiellement animé par des investisseurs mal informés.

Prenons le cas de Wirecard, société allemande de paiements électroniques…

Un grand nombre de vendeurs à découvert affirme de façon convaincante depuis des années que Wirecard est une imposture comptable. Pourtant, il aura fallu un ensemble de catalyseurs spécifiques (y compris le fait que la société qui audite les comptes de Wirecard fasse enfin son travail) pour révéler cette fraude sous-jacente.

Et tout ce temps, les petits investisseurs, les investisseurs institutionnels, les investisseurs indiciels, et même les autorités de régulation financière allemandes, ont décidé, soit de ne pas comprendre l’action qu’ils détenaient, soit de la défendre face aux critiques justifiées des vendeurs à découvert.

Au plus haut enregistré par le titre, en septembre 2018, Wirecard, entreprise cotée en Allemagne, a affiché une capitalisation boursière de 23 Mds$. Après un krach de 92%, dont la majeure partie s’est produite la semaine dernière, cette capitalisation a chuté à 1,7 Mds$, et va probablement tomber à zéro prochainement.

Si je cite cette affaire, ce n’est pas simplement pour signifier que les fraudes comptables comme celle de Wirecard sont partout, mais pour souligner ce point : lorsqu’un nombre critique d’investisseurs pense de la même façon, une société que l’on juge valoir des milliards aujourd’hui peut être considérée comme ne plus rien valoir demain.

Aux yeux de ses actionnaires et de ses défenseurs, Wirecard était irréprochable. La confiance s’est certainement accrue lorsque les actionnaires ont constaté que les autorités financières allemandes « assuraient leurs arrières » face à ces vendeurs à découvert soi-disant malveillants.

Mais est-ce que ces autorités ont réellement assuré leurs arrières ? Non. En fait, elles ont été complices de la destruction de la valeur actionnariale. En fait, elles ont tenté de réprimer et de faire taire des critiques valables, et un honnête débat, concernant la valeur de cette entreprise.

Des interdictions de vente à découvert ont même été décrétées, en 2019 notamment. La destruction de la valeur fictive de Wirecard aurait dû se produire bien avant, et être bien moindre, si les autorités financières avaient fait leur travail… ou si les actionnaires avaient choisi de raisonner avec davantage de sens critique.

Les actionnaires de Wirecard ont été pris au piège de leur propre « chambre d’écho », sans vouloir – ou pouvoir – entendre d’autres points de vue. La capitalisation boursière de Wirecard a atteint 23 Mds$ plusieurs années après les évocations de fraudes formulées par les vendeurs à découvert, car les actionnaires qui avaient déterminé le cours de l’action avaient tous plus ou moins la même opinion (ou bien n’en avaient aucune, dans le cas des investisseurs indiciels).

L’exemple tragique de Wirecard s’applique au marché actuel – animé par le day trading – pour de nombreuses valeurs, car beaucoup d’actions populaires ont vu leur cours augmenter artificiellement sur ce sentiment de groupe.

Et ce sentiment s’appuie en partie sur la croyance presque universelle que la Fed « assure les arrières ».

Mais je le répète, la seule entité qui « assure les arrières » (pour l’instant), c’est le volume d’argent frais provenant des investisseurs haussiers. Pourtant, ce volume – y compris la pression acheteuse provenant du trading haute fréquence – peut faire volte-face lorsque le momentum se modifie.

Voici un message que j’ai déjà relayé dans de précédents commentaires, mais qui mérite d’être réitéré :

Les haussiers (bulls) du marché actions ont tendance à penser de la même façon. Ils agissent de manière synchronisée. Or, quand l’état d’esprit change brutalement et que les bulls deviennent prudents, les cours peuvent nettement chuter.

Dans Aftermath, le livre que Jim vient de publier, il explique le concept « d’hypersynchronisme ». Il s’agit d’une situation de marché où la plupart des acteurs ont des stratégies et attentes similaires au cours des mois précédant les krachs.

A l’approche d’un pic de marché, la pensée de groupe et le comportement grégaire sont invasifs. Un nombre instable d’investisseurs s’est engouffré comme un seul homme sur une classe d’actifs. Ces investisseurs espèrent vendre à d’autres investisseurs ayant peut-être une philosophie semblable, mais dont l’appétit pour le risque est encore plus aiguisé.

Le contexte actuel du marché actions semble très hypersynchrone. Au bout de dix ans de marché haussier porté par les actions phares et les plus chères, la majeure partie des actifs est passée chez les gérants de fonds prenant le plus de risques, au détriment des gérants de fonds prudents.

Bon nombre de gérants de fonds prudents ont mis la clé sous la porte. Plus ils raisonnent de manière indépendante, plus leurs clients transfèrent rapidement leurs actifs vers des gérants qui courent après le momentum [NDLR : qui suivent la tendance], et passent pour les plus intelligents vers la fin du marché haussier.

Voici comment ce phénomène fragilise de plus en plus le marché : moins les gérants de fonds peuvent raisonner et agir indépendamment, selon leur meilleur jugement, moins le marché actions devient efficient.

Un marché actions efficient exige un ensemble d’acteurs manifestant différentes philosophies et opinions. Si la plupart des autres acteurs de marché se sont précipités sur les mêmes stratégies et trades, on peut se retrouver avec un marché actions qui enregistre de nouveaux plus-hauts historiques tout en devenant de plus en plus vulnérable.

« Les marchés sont désormais confrontés à un mélange nocif de passivité, de prolifération de produits, d’automatisation et de réactions comportementales instables », écrit Jim. « Cette accumulation de facteurs de risque est totalement nouvelle et se situe hors du champ d’expérience de tout trader ou analyste quantitatif » (les « quants« ).

Les traders et les quants n’ont aucun équivalent historique pouvant s’intégrer parfaitement dans leurs modèles de trading algorithmique. La plupart des quants ont conscience de cette pénurie d’équivalents historiques, alors ils la compensent en modifiant légèrement – constamment – les données de leurs modèles, afin de correspondre à ce qui a fonctionné au cours d’une histoire récente.

Dans un contexte où un si grand nombre de quants affluent sur des tendances qui « fonctionnent », cela finit par produire une pensée de groupe à très grande échelle. C’est un type d’hypersynchronisme.

Si certains nouveaux facteurs surprenants (comme une déclaration surprise de la part d’une banque centrale) modifient soudain les attentes, sur un marché hypersynchrone, alors il ne faut pas s’étonner qu’un krach se produise.

La pression acheteuse incessante sur certaines actions peut soudain se relâcher.

Bien qu’il semble vain, parfois, de réaliser les trades baissiers que nous recommandons, nous sommes convaincus qu’ils peuvent être précieux afin de couvrir votre portefeuille, face aux pertes engendrées si un marché hypersynchrone passe du stade de bulle à celui du krach.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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