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Alerte n°92 – Carvana n’est pas le prochain Amazon

Par 18 septembre 2020Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Actuellement, dans tout le battage médiatique entourant la bulle des valeurs technologiques, on entend souvent cette expression : « La société X est le prochain Amazon. »

Cette expression n’est pas le reflet d’une affirmation précise et réfléchie mais s’efforce plutôt de justifier que l’on débourse des sommes extravagantes pour des entreprises dont le chiffre d’affaires affiche une croissance rapide.

Amazon, le géant de la vente en ligne et du cloud, est unique en son genre. L’entreprise a prouvé qu’elle « rattrapait » systématiquement dans ses résultats l’évaluation très élevée de son cours. Reste à savoir si, dans cinq ou dix ans, les estimations actuelles de rentabilité d’Amazon se révèleront justes.

Avec l’âge, Amazon est confrontée à la concurrence accrue de jeunes entreprises agressives telles que Shopify, ou de détaillants bien établis tels que Walmart et Target. Le combat autour des parts de marché du cloud va s’intensifier, également.

Le point clé de mon commentaire, aujourd’hui, est le suivant : ce n’est pas parce que la concurrence n’a pas été féroce par le passé que cela va rester ainsi.

Les vagues comparaisons établies entre un tel nombre de jeunes entreprises en plein essor et Amazon illustrent très bien le biais du survivant : pour un Amazon qui réussit, on constate des dizaines et des dizaines d’échecs tels que celui de Pets.com.

L’un des points clés permettant de faire la différence entre, d’un côté, un échec éventuel et, de l’autre, une société ayant véritablement le potentiel d’égaler Amazon à ses débuts est : le modèle économique de cette société est-il facile à imiter ?

Autre facteur clé de différentiation : une entreprise peut-elle parvenir à l’autofinancement, ou doit-elle toujours puiser de l’argent sur les marchés financiers au bout de nombreuses années d’activités ?

Dans sa jeunesse, le modèle d’Amazon n’était pas facile à reproduire. Son excellente équipe de dirigeants s’est intensément focalisée sur des indicateurs tels que le rendement des capitaux investis et n’a abordé que les marchés créateurs de valeur actionnariale.

Dans sa jeunesse, Amazon a eu très peu recours aux marchés financiers après son entrée en Bourse. En revanche, les fournisseurs d’Amazon ont financé l’essentiel de sa croissance. Amazon payait les marchandises des fournisseurs bien longtemps après avoir encaissé l’argent des articles vendus sur le site. Un compte fournisseurs augmentant régulièrement s’est révélé une brillante manière de lever des fonds pour financer la croissance.

Les start-ups qui vendent des véhicules d’occasion sur internet sont très différentes d’Amazon dans sa jeunesse. La vente de voitures est un modèle aisément imité par CarMax, d’autres start-ups telles que Vroom, cotée en Bourse, et de grandes chaînes de concessionnaires très bien gérées telles qu’AutoNation.

L’activité de vente de voitures d’occasion est également très gourmande en capitaux. Lorsqu’une société de vente en ligne de voitures progresse rapidement, elle doit lever des fonds pour financer la croissance de son stock. Elle ne peut pas appliquer le modèle du fonds de roulement négatif, comme l’a fait Amazon, en payant les grossistes qui lui vendent les voitures d’occasion très longtemps après avoir encaissé l’argent de ses clients.

Ces vendeurs de voitures doivent d’abord devenir propriétaires des véhicules, bien avant qu’ils ne soient vendus au client final.

L’action du vendeur de voitures d’occasion Carvana Co. (NYSE : CVNA), notre dernière recommandation, est une valeur privilégiée par un grand nombre de jeunes investisseurs adeptes du day-trading. Cette foule de traders n’a pas encore vécu un marché baissier, et elle a l’impression que la Réserve fédérale ne laissera pas les actions chuter.

Ces gens achètent également des actions d’entreprises qui ont l’air « cool », tout simplement. Et il est clair que très peu d’entre eux s’y connaissent en comptabilité ou en finance. Cela signifie qu’ils peuvent gagner de l’argent sur le papier tant que le momentum de CVNA est positif.

Mais les actionnaires qui se positionnent au cours actuel de CVNA pourraient se retrouver avec des actions qui ne valent rien, s’ils imaginent acheter une part des futurs bénéfices de Carvana à un cours proche du « juste prix ».

Carvana n’a pas prouvé que ses activités généraient un flux de trésorerie disponible positif, et il se pourrait qu’elle ne puisse jamais le prouver. D’ici à ce qu’elle atteigne la maturité et qu’elle constitue sa flotte de distributeurs automatiques de voitures, la plupart des autres vendeurs de voitures d’occasion disposeront eux aussi d’outils de tarification et de showrooms en ligne très sophistiqués.

Un client souhaitant acheter une voiture d’occasion sur internet se préoccupe essentiellement de dénicher la voiture offrant le meilleur rapport qualité/prix, quel que soit le vendeur qui l’a en stock. Les actionnaires n’ont aucune raison d’espérer que la marque soit valorisée ou que la clientèle reste fidèle à Carvana, surtout lorsque le principal objectif du client est de dénicher la bonne voiture au bon prix.

Comme je l’ai indiqué plus haut, le marché de la vente en ligne de voitures d’occasions est facile à pénétrer et les marques sont peu valorisées. Lorsqu’un vendeur de voitures en ligne progresse rapidement, il doit lever des fonds pour financer la croissance de son stock.

Le rythme effréné des levées de fonds de Carvana ressort nettement de ses déclarations financières, depuis son introduction en Bourse il y a quelques années. Voici quelques informations figurant sur la dernière déclaration 10-Q :

• 24 mai 2019 : Une offre publique de vente de 4,2 millions d’actions ordinaires de Classe A au prix unitaire de 65 $, pour un montant total de 258,8 M$. Carvana a utilisé le produit de cette vente pour acheter environ 6 millions de parts sociales nouvellement créées (« LLC Units ») dans Carvana Group.

• 1er avril 2020 : Une offre de vente directe [NDLR : offre déclarée à la SEC et réservée à des investisseurs prédéfinis] de 13,3 millions d’actions ordinaires de Classe A au prix unitaire de 45 $, pour un montant total de 599,5 M$. Le produit de cette vente a été utilisé pour acheter 16,7 millions de parts sociales nouvellement créées (« LLC Units ») dans Carvana Group.

• 21 mai 2020 : Une offre publique de vente de 5 millions d’actions ordinaires de Classe A au prix unitaire de 92 $, pour un montant total de 459,5 M$. Le produit de cette vente a été utilisé pour acheter 6,3 millions de parts sociales nouvellement créées (« LLC Units ») dans Carvana Group.

Or qui est ce Carvana Group ? Le véritable propriétaire de Carvana.

Carvana Co., la société cotée en Bourse, ne détient qu’une participation de 39,8% dans l’entreprise. Les 60,2% restants sont détenus par des « insiders » (la famille Garcia) via une « Limited Liability Company » ou « LLC » (société à responsabilité limitée).

Les offres publiques de vente ci-dessus ont permis de lever 1,06 Mds$ provenant de la vente d’actions CVNA, mais l’état des fonds propres du deuxième trimestre montre que seuls 423 M$ sont allés dans la trésorerie de la société. Le solde de 635 M$ de cette levée de fonds a été utilisé pour augmenter la part détenue dans l’entreprise par la société à responsabilité limitée (Carvana Group).

Autrement dit, la majorité des fonds levés est allée à la famille Garcia en contrepartie de l’augmentation de sa participation dans la société… au lieu de lever de l’argent frais pour financer l’entreprise.

La famille Garcia (le PDG de Carvana, Ernie Garcia III, et son père, Ernie Garcia II) contrôle Carvana via des actions de Classe B convertibles en actions de Classe A. Depuis l’introduction en Bourse, ils ont régulièrement vendu des titres.

Selon Refinity, au cours de ces deux dernières années, ils ont vendu 5,8 millions d’actions CVNA sur le marché, à un prix moyen de 55 $.

Ils sont probablement impatients de vendre de nouvelles actions au public à un prix proche du cours actuel – qui se situe aux alentours de 170 $ – et, ainsi, d’augmenter considérablement le flottant. Les banques d’investissements seront largement rémunérées pour faciliter ce processus.

Comme Jim l’a indiqué dans notre alerte du 9 septembre, des initiés sont en train de vendre leurs actions CVNA, signalant ainsi qu’ils savent reconnaitre une bulle lorsqu’ils en voient une.

Ils sont bien informés pour anticiper quelle sera l’étendue des activités de Carvana à l’avenir, le nombre de concurrents auxquels elle sera confrontée, et à quoi ressembleront ses bénéfices.

Ils comparent ces informations à la capitalisation boursière outrageusement élevée de CVNA – 30 Mds$ – et vendent leurs actions à des traders en herbe imaginant qu’il faut payer n’importe quel prix, peu importe qu’il soit très élevé, pour ce qu’ils croient être le « prochain Amazon ».

Carvana est loin d’être un nouvel Amazon. Un certain nombre de catalyseurs pourrait faire éclater la bulle boursière de Carvana, alors nous recommandons de conserver vos options sur cette action.

Gaël, notre analyste, vous indiquera comment gérer vos positions sur CVNA.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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