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Alerte n°126 – L’explosion rapide d’Archegos Capital a valeur d’avertissement

Par 2 avril 2021Alertes

Cher lecteur,

L’explosion rapide d’Archegos Capital, un hedge fund de plusieurs milliards de dollars – la semaine dernière – nous rappelle brutalement l’effet de levier record sur le marché actions.

De plus, une grande partie de ce levier actuel est dissimulé, que ce soit sous forme de positions spéculatives sur des options call ou de « total return swaps » (« TRS ») [NDLR : contrat où deux entités s’échangent la performance d’un produit financier contre la performance d’un autre produit financier].

« La saga a éclaté au grand jour vendredi dernier », écrit Robin Wigglesworth, dans un article du Financial Times, « au moment où Goldman Sachs et Morgan Stanley sont sortis du bois et ont commencé à liquider des positions de plusieurs milliards de dollars sur des titres américains et chinois. Ils l’ont fait pour le compte d’un fonds d’investissement dont le nom n’a pas été divulgué, et qui avait fait défaut sur ses appels de marge, à savoir l’exigence de fournir plus de collatéral en contrepartie de ses trades. »

Wigglesworth décrit le dirigeant d’Archegos Capital, Bill Hwang, comme un « day trader digne de Reddit » qui « a eu accès à la carte de crédit de Goldman Sachs et a ‘pété un plomb’ ».

Les estimations diffèrent, mais il paraît qu’Archegos Capital contrôlait plus de 30 Mds$ d’actions, avec un socle de fonds propres de 10 Mds$ seulement. Ce levier si élevé s’est formé via le mécanisme des total return swaps.

Ces swaps existent depuis un moment. Ils permettent aux hedge funds, clients des prime brokers [NDLR : banques d’investissement proposant un ensemble de services à une clientèle de hedge funds] tels que Goldman, d’éviter les obligations de déclaration et de réglementation liées au simple fait de détenir des actions ou d’en emprunter pour des positions « short » (paris à la baisse).

Un prime broker achète ou vend une liste de titres pour le compte d’un client. Ensuite, il évalue le portefeuille au prix du marché (« mark to market ») en temps réel et transfère les gains ou les pertes. Si les positions sont défavorables au hedge funds client, un appel de marge peut lui être adressé.

Il paraît que ViacomCBS (NASDAQ : VIAC) était l’une des positions importantes détenues par Archegos Capital. On ne peut en être sûr, car le recours au swap a permis au fonds d’éviter de faire une déclaration 13-F (à la SEC) qui aurait divulgué ses positions.

Viacom est un groupe médiatique massif, freiné depuis des années par la tendance à annuler les abonnements au câble.

Le scénario à l’appui du rally opéré par ce titre d’octobre à mars a été alimenté par la détermination de Viacom à se jeter dans la mêlée du streaming avec son offre Paramount+.

S’agissant du phénomène du streaming, j’ai souvent dit que, selon moi, le consommateur bénéficierait de l’excédent de valeur de ces offres, au bout du compte, et non les producteurs de contenus.

A mesure que la concurrence s’intensifiera pour décrocher de l’audience, les annulations d’abonnements grimperont probablement et le prix des abonnements mensuels restera faible.

Le coût marginal quasi nul des nouveaux abonnés est à double tranchant. Mais ceux qui sont haussiers sur des actions telles que Netflix semblent prendre en compte uniquement l’avantage d’un produit à faible coût marginal. Ils font fi du caractère inévitable de la concurrence.

Le graphique boursier de Viacom, en 2021, ressemble au Cervin. C’est une figure de bulle classique qui grimpe de plus en plus fort puis chute à pic. Il s’avère que les achats incessants d’Archegos Capital – suivis d’un appel de marge – ont été l’un des principaux moteurs de ces deux mouvements.

Viacom affichait peut-être un rapport risque/rendement décent l’an dernier, en-dessous de 20 $. Mais le rally opéré de 40 $ à 100 $ en a fait un investissement toxique dépendant d’achats toujours plus agressifs (par Archegos Capital, en l’espèce).

La qualité des autres positions détenues par Archegos Capital est douteuse. Il s’agit notamment d’actions chinoises cotées aux Etats-Unis, assorties de déclarations minimalistes et de droits des actionnaires contestables aux yeux d’investisseurs occidentaux.

La plus notoire est la plateforme chinoise d’apprentissage en ligne GSX Techedu (NYSE : GSX). Au cours de l’année qui s’est écoulée, bon nombre des meilleurs vendeurs à découvert du monde ont publié des rapports signalant des ruses comptables et des activités trompeuses à l’échelle de Luckin Coffee.

Si les bandits opérant dans l’ombre, y compris Archegos Capital, se trouvaient de l’autre côté de ce trade, avec un levier fourni par des prime brokers, cela expliquerait pourquoi une action comme GSX a conservé un cours aussi élevé si longtemps.

Dans ce contexte où le positionnement des investisseurs penche toujours vers le haussier, et avec des actionnaires comme Archegos Capital et leur levier, cela vaut vraiment la peine de limiter les compartiments actions à des actions de qualité et dont les cours sont raisonnables.

Quand le momentum se retourne, pour les actions les plus surévaluées, la pression à la vente peut les faire baisser de façon spectaculaire. Et il n’y a pas grand-monde, pour acheter ces actions sur des replis. Les offres des acheteurs en quête de bonnes affaires sont bien plus basses.

Lorsque les marchés sont dominés par les traders axés sur le momentum, et que les acheteurs conscients de la valeur sont laissés en reste, alors le résultat prévisible est le suivant : des montées en flèche suivies de krachs encore plus fulgurants.

Notre dernière proposition de trade, le site de vente en ligne de décoration d’intérieur et d’ameublement Wayfair Inc. (NYSE : W), se range dans cette catégorie d’actions très surévaluées.

Même si la vente en ligne a fait partie des activités les plus chanceuses, en 2020, ce boom de l’ameublement ne va pas durer éternellement. La demande en faveur de ces articles a tendance à être stable. La demande constatée en 2020 puisait probablement dans plusieurs années de future demande.

La valeur de Wayfair est liée à la trésorerie disponible que l’entreprise pourra générer tout au long de son existence future, et non sur ses discours de 2020.

Avant la crise du Covid-19, et au bout de dix ans d’expansion économique, Wayfair n’avait toujours pas démontré qu’elle était capable de supporter ses coûts fixes et variables considérables.

Une fois que les revendeurs disposant d’espaces de vente physiques rouvriront, les concurrents de Wayfair reviendront en force. Et cette concurrence affichera des prix agressifs, avec de fréquentes liquidations, dans un contexte de récession.

Les haussiers pensent que le chiffre d’affaires de Wayfair continuera de progresser, et que les pertes d’exploitations se transformeront en bénéfice d’exploitation.

Toutefois, à mesure que Wayfair se développe, l’entreprise devient moins rentable. Sa marge bénéficiaire brute a bondi à 25%, en 2020, après avoir été de 20%, en moyenne, sur plusieurs années. Pourtant, au cours de cette année de boom, sa marge bénéficiaire nette s’est contentée de passer d’un niveau négatif à 1% seulement. Il n’existe aucun signe que Wayfair devienne plus rentable à plus grande échelle.

Pire encore, malgré la croissance rapide de son chiffre d’affaires, la société ne génère pas assez de trésorerie pour financer son expansion. Elle est de loin de l’auto-financement, malgré la trésorerie disponible générée au cours du boom de 2020.

Wayfair s’appuie sur ses fournisseurs et créanciers pour financer son programme de développement. Au cours des trois dernières années, les créances ont doublé pour passer à 1,5 Md$. Et sa dette totale a bondi de 415 M$ à 2,6 Mds$.

Le passif de Wayfair est essentiellement constitué d’obligations convertibles.

Lors de l’émission de ces obligations, Wayfair a versé d’importants honoraires aux banquiers de Wall Street afin d’intégrer un programme de « call cappés » [NDLR : « capped call transactions », des instruments limitant le gain de l’investisseur mais pas ses pertes afin de réduire la dilution].

Les banquiers d’investissement ont persuadé les entreprises technologiques à croissance rapide qui « brûlent » de la trésorerie, telles que Wayfair, que ces instruments convertibles complexes sont une manière intelligente de lever des fonds. Mais ils peuvent facilement générer des difficultés financières en cas de récession.

Ces changements se reflètent tous dans l’évolution du bilan de Wayfair au fil du temps :

  • Le résultat comptable de Wayfair est négatif ;
  • la société affiche un déficit cumulé de 1,9 Mds$ ;
  • la trésorerie détenue actuellement par Wayfair a été levée via l’émission d’obligations convertibles. Elle n’est pas générée par les activités de l’entreprise. Ces sources de « cash » sont favorables aux actionnaires quand l’entreprise enregistre de la croissance, mais elles peuvent avoir un effet boomerang quand elle commence à se contracter.

Le cours de Wayfair, à l’image de beaucoup d’autres actions surévaluées, reflète des discours, un sentiment et un momentum, plus que des fondamentaux.

Et lorsque le fragile échafaudage se brise, la chute peut être fulgurante, comme nous le montre l’exemple d’Archegos Capital.

Gaël, notre analyste, vous indiquera comment gérer vos positions sur Wayfair.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

 

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