Cher lecteur,
Beaucoup de crises financières puisent leurs origines dans le fait que des investisseurs achètent des dettes qu’ils ne comprennent pas, et que des intermédiaires financiers créent des instruments de dette adossés à des actifs douteux.
Si les instruments de dette ne sont pas adossés à des actifs sains et générateurs d’argent, les investisseurs finissent par paniquer et vendre. Et lorsque la panique dégénère, les responsables des gouvernements et des banques centrales interviennent pour soutenir ces titres suspects, ou décident de quelle façon les pertes seront réparties dans tout le système.
Les Etats-Unis ont vécu cette situation en 2008, lorsqu’il s’est avéré que la plupart des créances hypothécaires titrisées (« mortgage-backed securities » ou « MBS ») émises par Wall Street étaient mal structurées et adossées à des collatéraux douteux.
On a considéré que le QE (assouplissement quantitatif) et le plan Paulson (dit « TARP », pour Troubled Asset Relief Program) étaient une réussite. Mais peu de gens se sont rendu compte du véritable « génie » de ces programmes (du moins du point de vue de l’establishment financier) : le QE et le TARP ont mis fin au cycle de vente des MBS, d’effacement des pertes et d’insuffisance des capitaux en renflouant le collatéral qui servait d’ultime filet de sécurité au système financier. Et ce collatéral n’était (n’est) autre que le marché de l’immobilier résidentiel américain. Tant que les prix de l’immobilier ne s’effondrent pas, le système bancaire américain est largement solvable.
Les prix de l’immobilier sont encore plus importants pour la solvabilité du système bancaire chinois…
Dans le cas de la Chine, toute future répartition des pertes issues de ses excès en matière d’immobilier et de crédit devrait se matérialiser par une augmentation brutale de la masse monétaire du yuan.
Dans l’empire du Milieu, bon nombre des titres vendus aux investisseurs ressemblent à ceux concoctés en 2007 par Bear Stearns et Lehman Brothers. La similitude clé est la suivante : l’émetteur de ces titres à rendement fixe manie l’asymétrie d’information. Dans le contexte des banques spécialisées dans ces titres, l’asymétrie d’information signifie que la banque sait que le collatéral auquel sont adossés les titres qu’elle vend n’est pas aussi solide que ne le pensent les acheteurs.
Mais normalement, ces asymétries ne durent pas très longtemps.
Dès que les individus ignorant [jusque-là] la qualité réelle des actifs auxquels sont adossés les titres commencent à comprendre, ils paniquent (c’est normal) et le montage s’effondre.
Un excellent article de Chao Deng, publié le 27 février dans le Wall Street Journal, illustre un grand nombre des problèmes que pose la bulle du crédit chinoise.
(Ceux qui sont abonnés au Wall Street Journal peuvent le lire intégralement ici : ‘There’s No Money Right Now’: China’s Building Boom Runs Into a Great Wall of Debt.)
L’article débute sur une asymétrie d’information classique :
« Une frénésie de constructions dans cette zone rurale pauvre de la Chine [Sandu] s’est terminée par des projets à moitié achevés et une kyrielle d’investisseurs en colère provenant de certaines régions les plus riches du pays.
« Récemment, par une journée d’hiver, certains investisseurs et représentants de fonds privés basés à Shanghai et ailleurs ont débarqué à Sandu, une localité du sud profond où des dizaines de milliers d’habitants vivent avec moins d’un dollar par jour. Après un parcours en taxi depuis la gare TGV, et avoir vu défiler des bâtiments inachevés et la gigantesque statue en or d’un cavalier, ils se sont assis dans les bureaux du gouvernement local et ont réclamé un remboursement…
Cette quête de remboursement a mené certains d’entre eux dans un stade abandonné, un centre sportif d’envergure olympique avec piste de course hippique, et un bâtiment qui ressemblait à un Colisée romain inachevé, avec des cercles concentriques d’arches en béton. Dans un complexe comprenant un hôtel, un amphithéâtre et un terrain de basket « indoor » prenant l’eau et la boue, les ouvriers du chantier se sont plaints qu’ils n’étaient pas payés. »
Dans ce cas particulier, l’asymétrie est la suivante : des investisseurs chinois fortunés ont acheté un instrument de dette émis par les promoteurs d’un projet situé dans une zone rurale pauvre de la Chine.
Ceux qui présentent et commercialisent ces instruments de dette détiennent plus d’informations sur ces projets de développement que les acheteurs du titre. De plus, les deux parties partent probablement du principe qu’un gouvernement fédéral interviendra pour sauver ces titres en cas de défaillance des projets. La conjonction de toutes ces variables aboutit à un scénario d’investissement potentiellement ruineux.
Une société d’investissement de Sandu, soutenue par le gouvernement (ou « véhicule de financement du gouvernement local »), a emprunté des centaines de millions de yuans pour développer des infrastructures locales. En Chine, ces types d’emprunts auprès de riches investisseurs ont été souscrits massivement.
Cela se chiffre en milliers de milliards de dollars :
« En raison de la prolifération des fonds privés et autres vecteurs de levée de fonds accessibles aux gouvernements locaux, les économistes et Pékin ont du mal à retracer le montant total de ces emprunts. Selon les chiffres officiels, les dettes du gouvernement central et des gouvernements locaux totaliseraient 29 950 MdsY (4 457 Mds$) en 2017, soit environ 36% de l’économie.
Selon Zhang Ming, économiste à la Chinese Academy of Social Sciences, think-tank gouvernemental, on estime que les emprunts hors-bilan souscrits par les gouvernements locaux représentaient presque autant, soit 23 600 MdsY, dès 2017. Lorsqu’on prend en compte ces dettes cachées, dit-il, la dette publique totale représente environ 67% de l’économie. Mais cette proportion est bien plus élevée dans certains endroits comme les zones sous-développées qui tentent de se rattraper, et les estimations de M. Zhang n’intègrent pas tous les emprunts, notamment ceux impliquant des fonds privés évoluant en dehors des canaux bancaires.
Dans la province méridionale du Guizhou, où se situe Sandu, les investissements d’infrastructure ont augmenté de plus de 20% par an sur près de dix ans, selon les données officielles, et M. Zhang estime que les dettes des gouvernements locaux ont atteint 120% du produit intérieur brut.
Que se passe-t-il si le projet est défaillant, et que les investisseurs veulent récupérer une petite part de leur investissement en liquidant le collatéral ? En Chine, contrairement aux Etats-Unis, on n’a pas beaucoup d’expérience en matière de restructuration de dettes. Quelle est la valeur de liquidation d’un Colisée romain à moitié construit, dans une zone rurale chinoise ? Elle est probablement nulle, lorsque vous intégrez le coût de démolition et de mise à la benne du bâtiment. »
Cet extrait du Wall Street Journal illustre le fait que la Chine ne dispose pas d’un système juridique suffisamment abouti pour gérer les faillites et les restructurations de dettes. Cela montre que ces titres décotés par rapport à leur valeur nominale susciteront peu d’offres d’achat (voire aucune) de la part d’investisseurs spécialisés dans les dettes déclassées :
« Les tribunaux n’ayant pas le pouvoir de faire exécuter les jugements rendus contre des gouvernements ou sociétés d’état, M. Jiang et d’autres investisseurs savaient qu’ils devraient affronter les responsables officiels de Sandu pour se faire rembourser, et ils ont commencé à enquêter sur les finances de la localité. »
Si les tribunaux n’ont pas le pouvoir de faire exécuter les jugements rendus contre des gouvernements ou des sociétés d’Etat, alors rien ne justifie l’existence d’un marché secondaire pour ces titres.
Au contraire, voici ce qui se passera : les investisseurs ordinaires exposés à des pertes sur des projets non viables (comme ce projet de développement à Sandu) se tourneront vers Pékin pour se faire rembourser. Et Pékin, pour empêcher le chaos et les manifestations, les renflouera d’une manière ou d’une autre.
Le dollar américain est peut-être peu attractif car il est adossé à un volume théoriquement illimité de bons du Trésor américain. Mais, finalement, le yuan chinois est adossé à ces types mêmes de titres qui financent les projets ruineux des gouvernements locaux.
Lequel de ces deux systèmes a l’air plus sain et soutenable ? Selon nous, le système américain semble plus sain. Voilà pourquoi il y aura une pression à la vente à long terme sur le yuan chinois par rapport au dollar américain.
La Chine a besoin de davantage de flexibilité monétaire pour renflouer les milliers de milliards de dollars de projets financés par l’emprunt et non viables. Cette bulle doit gonfler ou mourir, un peu comme un requin qui doit être en perpétuel mouvement pour rester vivant. Le système financier chinois n’a pas vraiment été mis à l’épreuve des défauts et des restructurations.
Et pour obtenir davantage de flexibilité monétaire, la Chine devra cesser un jour de défendre ce peg (indexation) officieux, entre le yuan et le dollar.
Bien à vous,
Dan Amoss, CFA Analyste
Alerte Guerres des Devises