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Alerte n°25 – Une « disruption » qui pourrait rapidement pénaliser les valeurs du secteur de la restauration

Par 4 octobre 2019Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Les applications de livraison de repas, largement accessibles sur smartphone, sont en train d’intensifier la concurrence dans le secteur de la restauration.
Autrefois, on ne pouvait se faire livrer que des pizzas et pour commander, il fallait téléphoner.

A présent, dans la plupart des zones urbaines et de banlieue, les consommateurs américains peuvent se faire livrer des repas provenant de centaines de restaurants, y compris les enseignes KFC, Taco Bell et Pizza Hut, tous détenus par Yum! Brands (NYSE : YUM), société sur laquelle nous venons juste de nous positionner.

Vous connaissez peut-être les applications de livraison de repas les plus répandues aux Etats-Unis :

  • Grubhub
  • Seamless
  • Uber Eats
  • DoorDash
  • Postmates

Yum! Brands a conclu un partenariat stratégique avec Grubhub. En février 2018, la société a pris une participation de 3% dans Grubhub, à hauteur de 200 M$.

YUM a réalisé cet investissement pour accélérer son implantation dans le secteur des applications de livraison de repas, rejoignant ainsi dans cette niche d’autres concurrents du secteur alimentaire. McDonald’s dispose d’un partenariat avec Uber Eats, et Wendy’s avec DoorDash.

Selon le communiqué de Yum! Brands : « Ce partenariat unique est conforme aux stratégies à long terme de YUM, visant à rendre ses marques emblématiques plus facilement accessibles aux consommateurs, et à stimuler l’augmentation progressive du chiffre d’affaires des franchisés. Grubhub sera le seul partenaire national de YUM pour la livraison de repas à domicile, via l’apport d’un soutien dédié aux réseaux de vente en ligne de KFC et Taco Bell, avec accès à la plateforme de commande en ligne de Grubhub, sa logistique et son support de livraison finale, et intégration aux points de vente pour rationaliser les opérations. »

Les activités de YUM sont à 98% basées sur les franchises. Cela signifie que la société n’exploite et ne possède directement que 2% des plus de 48 000 restaurants opérant sous sa bannière.
Ses franchisés sont propriétaires des restaurants. Ils lui versent chaque mois environ 4 à 6% du revenu total généré par leurs restaurants, sont responsables de la gestion, payent leurs salariés et assurent l’entretien de leurs restaurants.

Le modèle économique de la franchise peut être très bon lorsque les revenus augmentent régulièrement dans tout le système et que les franchisés sont satisfaits, en bonne santé financière et que l’activité est rentable.

C’est un modèle qui ressemble à celui des royalties, ce qui veut dire que le bilan du franchiseur affiche peu de dépenses, au-dessous du poste « recettes ». La majeure partie des revenus que le franchiseur perçoit de ses franchisés se transforme en trésorerie disponible.

YUM réalise une marge bénéficiaire brute de 49%, alors que Chipotle, qui possède et exploite ses propres restaurants, ne réalise qu’une marge brute de 26%.

Mais quand ce modèle de franchise voit ses recettes commencer à diminuer, ou que les franchisés subissent des pertes au point de mettre la clé sous la porte, même la franchise de restaurants, modèle tant vanté, peut se dégrader.

Les investisseurs attribuent une évaluation élevée à l’action YUM, car ils apprécient l’idée de se positionner sur le chiffre d’affaires global réalisé par toutes ses enseignes de restauration.

La société n’est pas affectée – du moins pas tout de suite – par les pertes subies par ses franchisés sur des sites peu performants, et qui sont souvent suscitées par des facteurs tels que la hausse du coût de la main-d’œuvre et des produits alimentaires, les frais de livraison élevés et une concurrence locale plus intense…

Mais, au fil du temps, si leurs marges bénéficiaires sont affaiblies durablement, les franchisés des sites peu performants peuvent se retrouver en difficulté et se déclarer en faillite.

Et là, YUM peut être touché par l’interruption du versement d’une partie de ses sources de revenu de type royalties, qu’elle devrait alors tenter de remplacer.

Avec cette « disruption » provoquée récemment par les applications de livraison de repas, chaque restaurant a dû se montrer encore plus compétitif sur les activités de livraison de repas. De plus, la perte des marges élevées réalisées sur les ventes de boisson peut contracter les marges des franchisés.

A votre avis, est-il réaliste d’espérer que les clients se faisant livrer des repas via l’application Grubhub, vont commander autant de boissons que lorsqu’ils se trouvaient sur site ou au guichet d’un « drive-in » ?

Les boissons vendues à partir des fontaines à sodas, dans les restaurants KFC et Taco Bell, sont quasiment du pur profit, pour les franchisés.

L’effet net de l’explosion de la livraison de repas à domicile – une fois passée l’exaltation suscitée par cette augmentation progressive du chiffre d’affaires – va considérablement réduire les marges bénéficiaires, au niveau des restaurants.

Dans le cas de YUM, cette baisse des marges se fera ressentir chez les franchisés, qui vont être contrariés.

De plus, comme les sociétés proposant les applications de livraison sont déjà cotées – ou bien ont l’intention d’entrer en Bourse – elles ont désespérément besoin de faire savoir qu’elles enregistrent une augmentation spectaculaire de leurs revenus.

Alors il est probable qu’elles fassent énormément de promotion, de même que les restaurants.

Bref, cela ressemble à un cas typique de surinvestissement, où ce sont les consommateurs qui en profitent, au détriment d’un écosystème qui s’est construit trop vite entre les applications et les restaurants.

Les consommateurs auront plus de choix que jamais, et des prix encore plus compétitifs, au moment où les dépenses discrétionnaires des ménages commenceront à ralentir.

Mais les restaurants ont des coûts fixes. Il y a tellement de restaurants qu’en période de crise ils doivent rapidement réduire les prix et mettre en avant des menus promotionnels. Le phénomène des applications de livraison de repas ne fait que renforcer la transparence des prix aux yeux des consommateurs, par rapport à autrefois.

Même si les médias n’y accordent pas encore énormément d’attention, il existe un risque que les dépenses de consommation discrétionnaires amorcent un ralentissement.

Aux Etats-Unis, le chiffre des dépenses des ménages pour le mois d’août, publié vendredi dernier, est décevant. Les dépenses réelles ont progressé d’à peine 0,1% sur le mois d’août, et la progression enregistrée en juillet a été revue à la baisse.

Après avoir étudié les chiffres d’août, David Rosenberg, de Gluskin Sheff, l’un des rares économistes publiant d’excellentes analyses, a écrit ce qui suit :

« Le plus fascinant, dans le rapport sur les dépenses (du 27 septembre), c’est cette modeste diminution du volume, au sein du secteur des services, une première cette année, et le signe que les difficultés au sein du secteur des produits commencent à s’insinuer dans d’autres zones de l’économie. En fait, par le passé, le secteur des dépenses de service, en termes réels, n’a diminué que 13% du temps, en période d’expansion économique…

Et la cyclicité de ce recul du secteur des services est assez révélatrice : une baisse de 1,1% pour les restaurants ; un recul de 0,1% pour les services récréatifs (en baisse deux mois consécutifs) ; la fréquentation des cinémas a plongé de 6,2% sur le seul mois d’août, et sur trois mois au cours des quatre mois précédents… Dans le même temps, les services de livraison de repas (peu de choses sont aussi cycliques que celle-ci) ont baissé de 0,1% pour le deuxième mois consécutif.

Les secteurs de dépense les plus corrélés au marché de l’emploi ont également reculé, et cela mérite d’être surveillé… D’autant plus si l’on considère la baisse prononcée constatée sur les composantes de l’emploi du rapport relatif à la confiance des consommateurs, publié récemment par le Conference Board. »

Bref, cette perception solidement ancrée chez les investisseurs, selon laquelle les consommateurs américains vont continuer de « stimuler » la croissance économique américaine (même si le secteur manufacturier est en difficulté), pourrait bientôt s’avérer fausse.

En dehors de Yum! Brands, Tempur Sealy International (NYSE : TPX) et la chaîne de magasins Nordstrom (NYSE : JWN), sur lesquelles nous nous sommes positionnés récemment, seraient aussi affectés par la baisse des dépenses de consommation discrétionnaires.

Nous suivons ces positions et vous enverrons une alerte s’il faut intervenir.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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