Cher lecteur,
Dans l’alerte de la semaine dernière, Gaël vous a recommandé un trade sur options pariant sur la baisse des actions d’American Airlines Group (NASDAQ : AAL).
Selon ses récentes expériences de vol sur American, Jim nous a fait part d’une information cruciale concernant la flotte de Boeing 737 MAX 8 de cette compagnie : la liste des problèmes que pose le MAX 8 est bien plus vaste qu’on ne le pense, et l’avion pourrait rester cloué au sol jusqu’en 2020. Or, apparemment, cela n’a pas été intégré dans le cours de l’action.
Si le MAX 8 reste cloué au sol jusqu’en 2020, cela pourrait énormément affecter les bénéfices d’American. Voilà pourquoi je pense que la publication imminente des résultats de la compagnie aérienne, fin juillet, pourrait être un catalyseur négatif important pour son action.
Aujourd’hui, je vais expliquer pourquoi les actions de compagnies aériennes (y compris AAL), considérées comme de solides investissements, semblent se métamorphoser en « value trap » [NDLR : « trappe à décote »] : une action qui a, en apparence, l’air bon marché, mais qui est en fait chère quand on considère tous les risques qu’encourt la société concernant ses futurs bénéfices et sa solvabilité à long terme.
American Airlines Group a été constitué en décembre 2013 à la suite d’une fusion d’American Airlines et d’U.S. Airways Group. Actuellement, American propose 6 700 vols par jour vers 350 destinations réparties sur plus de 50 pays. Elle possède des plateformes de correspondances (“hubs”) à Charlotte, Chicago, Dallas/Fort Worth, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie, Phoenix et Washington (DC).
Même s’il s’agit d’une grande compagnie et qu’elle occupe une position concurrentielle apparemment impressionnante, ses coûts fixes et variables sont également très importants. Les coûts doivent être couverts par un minimum de recettes pour éviter la faillite. Cela implique le paiement des salaires de 128 900 employés, une main-d’œuvre qualifiée constituée de pilotes, mécaniciens et personnels de cabine, dans un contexte de tension du marché de l’emploi.
Les recettes des compagnies aériennes dépendent de deux variables essentielles : la capacité totale des sièges et les changements de tarif des billets. Les coûts dépendent de facteurs tels que les salaires, le prix du carburant et la maintenance de la flotte.
Voici les principaux indicateurs tirés de la dernière déclaration 10-K de la compagnie. J’ai surligné les tendances relatives aux recettes et aux coûts, et qui sont responsables de la baisse de l’action :
Vous remarquerez que, depuis deux ans, le taux de croissance des coûts d’exploitation d’American excède de loin le taux de croissance de ses recettes. Cela provoque une baisse de ses marges bénéficiaires et de ses bénéfices. Le revenu d’exploitation et le bénéfice par action ont nettement baissé après avoir enregistré un pic en 2015.
Pour conserver leurs actions AAL au cours actuel, les actionnaires comptent sur un revirement de cette tendance négative. Traditionnellement, les marges d’exploitation enregistrent un pic à la saison des vacances, aux deuxième et troisième trimestres. Beaucoup de choses dépendent donc des remarques de la direction lors de la publication des résultats du deuxième trimestre, attendue fin juillet.
Est-ce que cette tendance négative – bien installée, et qui affecte les marges d’American – va s’inverser au cours des années à venir ? C’est possible, mais l’issue la plus probable est que les marges d’American vont continuer de se détériorer.
Avant toute chose, la maîtrise des tarifs s’évaporera dans tout le secteur du transport aérien lors de la prochaine récession. Les coûts fixes d’exploitation d’un vol sont extrêmement élevés. Donc, dans un contexte de récession, si la demande en faveur des vols chute ne serait-ce que de quelques points de pourcentage, les tarifs des billets chuteront encore plus vite que les volumes. Autrement dit, chaque compagnie aérienne baissera énormément les prix pour remplir les sièges vides.
Pendant près de dix ans, le scénario d’investissement haussier sur les actions des compagnies aériennes s’est largement appuyé sur la consolidation du secteur, laquelle a permis de mieux maîtriser les tarifs. La maîtrise des tarifs dépend de la capacité des compagnies aériennes à conserver une capacité tendue, en termes de sièges, et d’appliquer des tarifs plus élevés.
Les lois économiques ne permettent pas à ces conditions de durer éternellement. En fin de compte, chaque compagnie ne résiste pas à l’incitation d’accroître ses capacités pour maximiser ses bénéfices dans un environnement porteur.
Par ailleurs, au bout de dix années de concentration et de consolidation accrues du secteur aérien, les politiciens et d’autres participants au secteur du transport de voyageurs vont commencer à freiner le pouvoir de marché des compagnies aériennes.
Par exemple, les opérateurs d’aéroports du monde entier s’insurgent contre la domination d’American sur des « créneaux horaires » dans des aéroports spécifiques où le trafic est très dense. Le Wall Street Journal a publié un article à ce propos, le week-end dernier :
« La croissance rapide du transport aérien mondial incite les compagnies aériennes et les opérateurs d’aéroports à remanier le système vieux de plusieurs décennies permettant d’allouer les créneaux horaires d’atterrissage et de décollage dans la plupart des aéroports les plus fréquentés du monde.
Le trafic aérien mondial devrait doubler au cours des 15 prochaines années, selon l’Association internationale du transport aérien [NDLR : AITA]. Cela va poser d’énormes difficultés dans un secteur qui se débat déjà pour acheminer les passagers dans plus de 200 aéroports du monde opérant au maximum de leur capacité, notamment John F. Kennedy à New York et Heathrow à Londres.
Seuls quelques pays dont la Chine, construisent de nouveaux terminaux en quantité significative.
Pour améliorer la gestion existante des pistes et la capacité au sol partout dans le monde, l’AITA a annoncé en juin des changements dans ses directives mondiales d’attribution des créneaux horaires (Worldwide Slot Guidelines) donnant plus d’influence aux aéroports. Les compagnies aériennes et les aéroports auront désormais chacun leur mot à dire sur la façon dont les créneaux horaires sont distribués, avec une surveillance plus stricte de la règle du « créneau non utilisé, créneau perdu » qui a permis aux compagnies de s’accrocher pendant des années à certains accès…
Les compagnies aériennes et les aéroports se sont entendus en partie par crainte que les gouvernements ne se mettent à vendre ces créneaux. La Federal Aviation Administration a abandonné son projet de vendre aux enchères les créneaux horaires des aéroports de la région de New York, à la suite d’une action en justice menée par les compagnies aériennes. Le gouvernement britannique a également flirté avec l’idée de vendre éventuellement l’accès à l’aéroport d’Heathrow.
La révision des directives AITA ne précise pas qui est vraiment propriétaire des créneaux. Les compagnies aériennes et les aéroports continuent à militer contre toute démarche gouvernementale visant à déclencher les ventes.
‘Les enchères bénéficient aux compagnies les plus riches‘ a déclaré le directeur général de l’AITA, Alexandre de Juniac, lors d’une réunion annuelle du groupe.
Le système existant a permis à certaines compagnies de se bâtir des fiefs dans des aéroports congestionnés, rendant l’accès plus difficile aux nouveaux arrivants. British Airways et son partenaire American Airlines Group Inc. contrôlent 55% des créneaux horaires quotidiens, à Heathrow, l’aéroport international le plus fréquenté dans le monde. »
Ces créneaux horaires sont si précieux que ce sont des actifs qu’American peut utiliser en garantie de dettes sécurisées.
Par exemple, en décembre 2018, American et ses banquiers ont modifié son accord de crédit de 2014. En contrepartie d’une réduction de 0,25% du coût des intérêts sur ses lignes de crédit, American a nanti ses créneaux horaires, points d’embarquement et de débarquement et lignes entre les aéroports américains et l’Union européenne.
Avec les changements proposés sur les créneaux horaires, la valeur à long terme de ces actifs sera remise en question.
Bref, ceux qui investissent dans les compagnies aériennes ne peuvent compter sur la persistance éternelle de conditions relevant du monopole, dans les aéroports clés. Par ailleurs, on ne peut augmenter indéfiniment les tarifs aériens sans provoquer une réduction de la demande.
American s’expose à une réduction de ses marges et à la probabilité d’une récession mondiale imminente sans disposer d’un coussin financier. Tout financement par l’emprunt est exclu…
Les 60,7 Mds$ d’actifs de la compagnie aérienne sont financés par 61,4 Mds$ de dettes, au total. Autrement dit, les actionnaires d’AAL ne peuvent avoir aucune prétention sur les actifs de la compagnie. Sa valeur comptable est de -636 M$.
Pour les entreprises telles que les développeurs de logiciels et les cabinets de consulting, qui possèdent peu d’actifs et ne sont pas voraces en capitaux, le fait de pouvoir mesurer les fonds propres n’est pas aussi important. Mais ce n’est pas le cas pour les compagnies aériennes. Elles possèdent beaucoup d’actifs et consomment beaucoup de capitaux. Et, en plus, elles sont cycliques. Voilà pourquoi AAL est ressortie sur notre écran Z-Score.
A titre de comparaison, des concurrents tels que Delta, United et Southwest possèdent les bilans affichant le plus de fonds propres dans ce secteur, avec respectivement 13,7 Mds$, 10 Mds$ et 9,9 Mds$. Ces compagnies seront donc bien mieux placées pour réduire leurs tarifs tout en évitant de faire paniquer leurs créanciers lors de la prochaine récession.
Les investisseurs haussiers sur AAL partent du principe que cette activité n’est pas aussi cyclique qu’elle l’était, en raison de la consolidation accrue du secteur. Mais nous avons déjà de nombreuses preuves que le cycle de profit de la compagnie a atteint un sommet il y a quelques années… bien que le cycle de hausse de cette compagnie n’ait pas été mis à l’épreuve d’une récession pendant dix ans.
Une banale récession précipiterait rapidement AAL dans les difficultés financières. Le prédécesseur d’American a fait faillite fin 2011. Il est ressorti de la faillite pour fusionner avec un concurrent.
A posteriori, American est sortie de sa précédente faillite trop endettée et avec trop d’engagements passés, notamment des retraites insuffisamment financées. La facilité des conditions de crédit a ôté à la direction de la compagnie tout empressement de rembourser ses dettes.
Par conséquent, lors de la prochaine récession, American Airlines va probablement se déclarer à nouveau en faillite.
A long terme, AAL ne vaudra probablement plus rien. Mais ce processus pourrait prendre plusieurs années.
Alors à court terme, restez à l’affût de nos alertes, pour gérer vos options put sur AAL.
Bien à vous,
Dan Amoss