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Alerte n°116 – Que la partie s’arrête !

Par 5 février 2021Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Il est possible de gagner de l’argent, avec des trades spéculatifs, si on fait bien son travail et qu’on limite les risques.

Et c’est ce que nous faisons, dans le cadre de Crash Speculator. On analyse les tendances économiques, les fondamentaux des entreprises et les tendances technologiques.

Acheter des actions « pourries » telles que GameStop (GME) ou AMC Entertainment Holdings (AMC) au seul motif qu’un « troupeau » en achète, c’est aller au-devant des ennuis.

Ces types d’actions peuvent être intéressants dans des situations spécifiques, pour des investisseurs « value » avertis, et sous réserve que leurs capitalisations boursières soient très faibles. Mike Burry, par exemple, a investi dans GME lorsque le titre cotait à un cours anticipant la faillite. Mais acheter GME ou AMC aux sommets qu’ils ont atteints la semaine dernière, c’est aller au-devant des ennuis.

L’esprit de bulle qui s’est emballé ces dernières semaines s’est nourri de dix années d’infime connexion entre les cours des actions et les fondamentaux.

Certains PDG et acteurs du capital-risque très médiatiques ont encouragé la folie de la semaine dernière avec des tweets qui ont déclenché de nouveaux épisodes de trading dangereusement haussiers.

C’est comme s’ils avaient crié : « Que la partie commence ! » Au lieu de cela, nous aurions dû encourager les nouveaux arrivés sur le marché à en siffler la fin, et à prendre le trading et l’investissement au sérieux.

Les articles parus dans les médias – notamment celui-ci, du Wall Street Journal – citant certaines personnes ayant participé à ces trades motivés par un mouvement de foule, sont bien tristes. Ils sont également effrayants.

Beaucoup de ces jeunes gens vont-ils ressortir de la frénésie entourant GameStop en pensant à tort que c’est ainsi que l’investissement fonctionne ?

« Jordan Laws, producteur audiovisuel âgé de 40 ans qui a collaboré à la campagne présidentielle de Bernie Sanders, l’an dernier, déclare qu’il considère WallStreetBets comme une force de rééquilibrage entre professionnels et amateurs.

« Les hedge funds le font depuis toujours. Ce n’est pas comme s’ils n’envoyaient pas leurs gars sur CNBC », déclare M. Laws, en ajoutant que leurs commentaires sont capables de faire bouger les marchés.

Il a acheté des options call haussières sur AMC après avoir constaté le rally sur les actions GameStop et suivi les conversations incessantes sur Reddit et Discord. Elles ont pris de la valeur, mais il pense qu’elles peuvent encore grimper.

« J’attends que la cavalerie arrive », déclare-t-il. »

Un « troupeau », ce n’est pas une cavalerie : il se précipite sans réfléchir dans une direction, puis fait volte-face dans l’autre en un clin d’œil, piétinant au passage une bonne partie des participants.

L’état d’esprit du « troupeau », sur Reddit, est nihiliste, cynique et fait fi de l’historique des marchés. Une soif de vengeance à l’égard de ce que produit « le système » semble s’être répandue.

Certes, les dix dernières années ont été injustes à de nombreux égards. Mais c’est surtout dû à une culture américaine vouée à des politiques d’inflationnisme, des choses comme l’hyper-financiarisation, le « Fed put », et un système de financement des prêts immobiliers soutenu par les contribuables qui alimente les bulles immobilières.

Si les jeunes adeptes de Reddit veulent vraiment des réformes financières et économiques, ils devraient voter pour des dirigeants politiques qui sont contre l’inflationnisme, et n’envisagent pas une deuxième carrière en tant que lobbyiste. Mais au contraire, la plupart des jeunes électeurs sont favorables aux politiciens étatistes des deux partis, qui créent deux ou trois problèmes de plus chaque fois qu’ils affirment en avoir réglé un.

Il est ironique et triste que le fait de réaliser des paris à effet de levier sur des actions surévaluées soit perçu comme une façon de faire passer un message dissident.

Cela va largement au-delà de GameStop… Il existe des dizaines, peut-être des centaines, de valeurs et de SPAC très médiatisées dont le cours reflète le même raisonnement de base que pour GameStop : beaucoup d’acheteurs savent qu’ils font partie d’une foule portée par un élan, et espèrent se situer en tête du troupeau et vendre avant que cet élan ne s’arrête.

Le résultat final de cette tendance destructrice, c’est un transfert de richesse des derniers acheteurs du troupeau vers les premiers. Les derniers acheteurs sont les pigeons. Ils se retrouvent avec des actions GME qu’ils ont achetées lorsque la capitalisation atteignait plusieurs dizaines de milliards de dollars. Et ils se sont probablement pétrifiés lors du krach de lundi et mardi. GME a clôturé à 325 $, le vendredi 29 janvier, et à 90 $ le mardi 2 février. Hier, jeudi, l’action a fini la séance à 53,5 $, niveau qui avait été dépassé le 22 janvier.

Le fait que le cours de GameStop soit totalement détaché des fondamentaux de l’entreprise est une mise en garde sur les dégâts que provoquent les bulles qui enflent puis éclatent.

Chaque action émise par GME doit être détenue par quelqu’un. Les détenteurs sur le long terme sont probablement contents de détenir une action s’il existe un lien rationnel avec les bénéfices que GameStop est capable de générer. Or les chances que GameStop puisse encore générer des bénéfices substantiels au cours de ce qu’il lui reste à vivre sont assez faibles.

Nous identifions une version plus modérée du scénario de GameStop chez Netflix, dont la capitalisation boursière est de 240 Mds$.

En gros, le marché estime que la valeur actuelle des futurs flux de trésorerie disponible, sur toute la durée de vie future de l’entreprise, est de 240 Mds$.

Voici quelques données subsidiaires :

  • Le taux d’actualisation utilisé pour calculer cette valeur réelle est, en gros, le taux de rendement annuel qu’espère obtenir un actionnaire à l’avenir. Vraisemblablement, la plupart des gens espèrent un rendement élevé, sur l’action Netflix : disons qu’il est de 10% par an.
  • Si c’est le cas, les futurs flux de trésorerie de Netflix devraient être réactualisés à 10%.
  • Les flux de trésorerie les plus lointains ne valent donc pas grand-chose, aujourd’hui. Par exemple, un flux de trésorerie de 1 000 $ en 2041, réactualisé à 10%, ne vaut que 148,64 $, aujourd’hui.
  • On dit souvent que les évaluations des actions de croissance des grandes capitalisations sont justifiées par la faiblesse des taux d’intérêt. Soit. Disons que nous abaissions le taux d’actualisation de 10% à 3%, pour le flux de trésorerie de 2041. Sa valeur actuelle grimpe à 553,68 $.
    Mais n’oublions pas qu’en faisant chuter le taux d’actualisation à 3%, nous disons également que le taux de rendement annuel de l’action, à l’avenir, sera de 3%. Avec un rendement aussi bas, on ne dirait que c’est une bonne affaire, pour une entreprise ayant la maturité de Netflix et qui n’a pas encore généré des flux de trésorerie significatifs.

Pour que le détenteur à long terme d’actions Netflix obtienne un rendement décent à partir du cours d’aujourd’hui, il faudrait que l’entreprise fasse progresser le nombre de ses abonnés pendant de nombreuses années, à l’avenir, et qu’elle fidélise sa clientèle existante, tout en ne dépensant pas démesurément sur les contenus (ce qui implique un nombre de « flops » réduit). Sinon, l’entreprise n’offrira pas les flux de trésorerie qu’anticipe une valorisation de 240 Mds$.

Ce sera un défi ardu, car les grands groupes propriétaires des studios de Hollywood (dont Disney, NBC Universal, AT&T et Viacom) se lancent à fond dans les services de diffusions en streaming. Tous ont l’intention d’attirer des spectateurs prêts à payer environ 15 $ par mois.

Ces grands groupes attirent les spectateurs en faisant la publicité du prochain « blockbuster » qui sortira sur leurs services de streaming. Cela attire pendant un mois ou deux les « zappeurs », dont un faible pourcentage reste.

Il y a tellement de choix, dans l’univers du streaming, que cela va probablement produire une forte corrélation entre les dépenses consacrées aux contenus et la fidélisation des spectateurs. Si c’est le cas, les estimations tablant sur une future manne de trésorerie disponible chez Netflix vont probablement décevoir. Netflix devra continuer à dépenser énormément sur ses contenus.

En outre, considérez les limites budgétaires réelles d’un ménage qui dépense en moyenne 50 $ à 70 $ par mois, pour trois ou quatre services de streaming, en plus des 100 $, environ, d’internet. Ce serait exactement comme les anciens bouquets du câble… Mais moins prévisible que le câble car le client peut résilier un abonnement de streaming en appuyant sur quelques touches de son téléphone.

Lors de la publication de ses résultats, en janvier, Netflix a sous-entendu que l’entreprise se rapprochait de l’autofinancement (c’est-à-dire que les clients, et non le marché des junk bonds, pourront financer les contenus, à l’avenir).

Par conséquent, Netflix envisage un programme de rachat d’actions. Et voici la partie amusante : avec une capitalisation boursière de 240 Mds$, le ratio cours/flux de trésorerie disponible de l’action, en 2020, représente un maigre 0,80%. Voilà quel aurait été le rendement de Netflix, en 2020, si la société avait décidé de distribuer toute sa trésorerie disponible de 2020 sous forme de dividende.

Il est là, le problème, avec ces capitalisations boursières des FAANG (Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Google) qui s’élèvent à plusieurs centaines de milliers de milliards de dollars : le flux de trésorerie disponible qu’elles peuvent distribuer aux actionnaires n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, par rapport à leur colossales capitalisations.

« Pas de problème » affirment ceux qui sont haussiers sur les FAANG. « Tout cette trésorerie arrivera sur les futurs exercices. Attendez et vous verrez ! »

Les haussiers sont si convaincus que les « futurs exercices » se dérouleront de telle façon qu’ils sont prêts à payer en conséquence aujourd’hui.

Pourtant, la concurrence, la faiblesse économique, les risques réglementaires, l’augmentation des impôts sur les sociétés, la hausse des taux d’intérêt et les « disruptions » technologiques, pourraient tous réprimer les futurs flux de trésorerie disponible des FAANG.

« Le marché doit être au courant de quelque chose, pour faire grimper à ce point les FAANG », pourraient rétorquer les haussiers.

Mais comme le montre la bulle GameStop, parfois, le marché ne sait rien.

Ou, pire encore, parfois le marché évolue de façon très destructrice, et gaspille les capitaux peu abondants.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

 

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