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Alerte n°121 – Les bons du Trésor américain nous rappellent que l’évaluation des actions compte encore

Par 4 mars 2021Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

« L’évaluation n’a plus d’importance » affirment les fans des actions qui battent le marché et dont le momentum est élevé.

« Nous sommes entrés dans une ère où les capitaux sont bon marché ou gratuits à l’infini, alors on doit acheter les actions de sociétés gérées par des dirigeants visionnaires qui entrainent le monde de là où il se trouve vers là où il a besoin d’aller. »

Soit… Cette stratégie peut fonctionner. Mais elle fonctionne uniquement tant que de plus en plus d’investisseurs l’adoptent.

Je parie que la plupart des investisseurs n’achètent pas en suivant une stratégie de momentum élevé, de type « imaginez le monde en 2050 puis remontez vers le présent ».

La plupart des investisseurs recherchent des rendements nets sur les capitaux investis. Ils placent l’argent qu’ils ont durement gagné dans des actions, et espèrent percevoir une part décente des bénéfices, ou des dividendes, dans un laps de temps raisonnable.

En ce qui concerne le timing de ces rendements sur capitaux investis, il peut varier en fonction du risque lié aux actions en question.

Par exemple, une personne ayant acheté une action pétrolière peut s’inquiéter de l’hostilité du gouvernement américain à l’égard de ce secteur. Cet acheteur exigera alors un haut rendement, avec un remboursement rapide sous forme d’un taux de dividende élevé, sur le cours actuel de l’action.

Ceux qui investissent dans les énergies propres exigent un rendement sur capitaux investis bien plus faible. Ils partent du principe qu’ils investissent sur ce qui déclenchera inévitablement une vague de profits.

Mais que se passe-t-il, si des éléments surviennent et sapent l’hypothèse d’une vague de profits ? Et si une surcapacité se forme, dans les secteurs éolien, solaire ou des batteries ? Et si une autre technologie propre « disruptive » surgit et ébranle la précédente technologie « disruptive » ?

Dans ce cas, les investisseurs exigeraient des rendements sur capitaux investis plus élevés, pour conserver les actions axées sur les énergies propres.

Et pour attirer de nouveaux acheteurs vers ces actions axées sur les énergies propres – dans ce nouveau contexte plus tempéré à l’égard des futurs profits et flux de trésorerie – il se pourrait que le marché soit obligé de revoir leur valeur de 60 à 90% à la baisse.

Il y a un autre facteur à prendre en compte, concernant la grille des rendements sur capitaux investis : les rendements offerts par les obligations d’Etat dénuées de risque de défaut de paiement.

Si ces rendements s’envolent, alors la volonté de détenir les actions les plus spéculatives – et offrant les rendements sur capitaux investis les plus bas – peut brutalement faiblir.

C’est ce que nous avons constaté jeudi dernier, lorsqu’une adjudication du Trésor défavorable, et des craintes de hausse de l’inflation, ont provoqué un spectaculaire sell-off des obligations d’Etat.

La hausse des rendements a incité les investisseurs qui détenaient les actions du momentum les plus chères (en se basant sur leur vision de l’économie en 2050) à les fuir.

Les stratégies de trading axées sur le momentum sont populaires, de nos jours, et la plupart d’entre elles se basent sur l’hypothèse que les rendements nominaux des obligations d’Etat resteront perpétuellement proches de zéro. Si cette hypothèse change, alors la nature des marchés peut brusquement changer.

L’environnement actuel du trading, qui évolue vite, représente le point culminant d’une tendance à long terme au cours de laquelle la plupart des investisseurs sont devenus des « locataires » d’actions, plutôt que des actionnaires.

Ironiquement, même si l’on peut penser que les bulles axées sur les valeurs technologiques rallongent l’horizon temporel des investisseurs – car ils exigent en théorie des rendements sur capitaux investis plus faibles – en pratique, elles le raccourcissent.

Les bulles incitent les traders à « zapper » d’une classe d’actifs, d’une thématique ou d’un secteur en vogue à l’autre.

  • Aujourd’hui, il peut s’agir des cryptomonnaies ;
  • demain, des véhicules électriques ;
  • le jour suivant, de l’énergie solaire ;
  • puis du tourisme spatial ;
  • puis du cannabis.

Ces élans d’intérêt sont brefs.

La plupart des actions qui se rangent dans ce genre de catégorie « au goût du jour », ne présentent aucun intérêt, à leurs cours actuels, pour ceux qui investissent sur le long terme.

Peu d’entreprises se rangeant dans les cinq catégories ci-dessus offrent énormément d’espoir de verser un jour un dividende raisonnable pour compenser le fait que les investisseurs conservent leurs actions.

Elles promettent toutes – si l’on en croit ces histoires extravagantes concernant l’avenir – de créer une sorte d’état du monde où elles domineront leurs concurrents et verseront des dividendes élevés, par rapport au cours actuel de l’action.

Vous n’avez plus qu’à les croire et conserver volontiers ces actions, même si elles ont déjà atteint des cours impliquant que des milliards de dollars de flux de trésorerie (une sorte de rendement sur capital investi) se manifesteront à un certain moment, dans le futur.

Pour enregistrer des gains durables, dans tout secteur ou toute classe d’actifs, il faut un élément clé : disposer d’un socle de fidèles investisseurs qui veulent bien conserver le titre aux cours actuels, et le conserver quand même s’il augmente encore.

Ces investisseurs prennent leur temps, avant de vendre, même si le cours de leur actif préféré grimpe. Mais ces types d’investisseurs représentent une minuscule partie de la population qui investit. Et les rares investisseurs présentant ces caractéristiques vont plus probablement acheter et conserver une action surévaluée et défaillante dans laquelle ils croient mordicus, qu’acheter et conserver les titres d’un Amazon ou d’un Microsoft, de leur date d’introduction en Bourse à ce jour.

Certains de ces détenteurs d’actions de bulle, insensibles aux cours, investissent dans les indices et les ETF. Mais même chez les investisseurs indiciels, il y a des facteurs démographiques à prendre en compte. Il faut financer des retraites avec des actifs à faible volatilité, comme les obligations, alors les investisseurs indiciels envisagent un jour de vendre leurs actions sous-jacentes à quelqu’un.

La plupart des investisseurs sont impatients, ce qui les pousse à sauter d’une tendance en vogue à une autre.

Mais qui peut savoir précisément combien de temps une tendance va rester en vogue ? Sur des marchés où les hedge funds quantitatifs réalisent des transactions à la vitesse de la lumière – constamment à l’affût d’anomalies de marché, avec leurs super ordinateurs – il est peu probable qu’un petit investisseur puisse gagner la partie, s’agissant d’identifier le momentum, de surfer dessus et de sortir pile au bon moment.

Toutefois, les petits investisseurs ont des avantages concurrentiels, par rapport aux institutions. Il s’agit notamment de la flexibilité. On peut quitter la partie en vendant des actions et en levant des liquidités quand, apparemment, la situation commence à devenir dangereuse.

Les particuliers ont un autre avantage : ils voient à plus long terme que les professionnels dont le comportement est influencé par la pression de la performance par rapport à un indice tel que le S&P 500.

L’une des raisons pour lesquelles certains investisseurs professionnels peuvent ressentir le besoin de conserver notre dernier pari à la baisse, Beyond Meat, Inc. (NASDAQ : BYND), par exemple, est la suivante : ils s’inquiètent que le titre puisse surperformer l’indice S&P 500, à l’avenir.

Si ce spécialiste de la fausse viande surperforme, et que les fonds communs ou les hedge funds ne le détiennent pas, certains clients poseront la question suivante : « Pourquoi ne détenez-vous pas ce titre ? »

Comme nous ne sommes pas soumis à ce genre de pression, nous sommes capables d’évaluer les rendements sur capitaux investis que peut offrir BYND, à son cours actuel, d’en conclure que le cours de l’action est absurde, et de recommander un trade sur option spécifique afin de parier contre cette action.

Et nous avons également intégré une analyse technique, dans ce processus, afin de limiter le risque de nous faire renverser par une foule de boursicoteurs en ligne qui voudrait à tout prix détenir des actions BYND.

Sur le graphique de BYND, le momentum a atteint un pic il y a longtemps, alors les plus fidèles détenteurs du titre encore présents raccrochent leurs attentes aux tendances de l’entreprise sous-jacente.

Alors quelles sont les performances de l’entreprise ?

La publication des résultats, la semaine dernière, n’a pas de quoi rassurer ceux qui sont haussiers sur BYND. Le chiffre d’affaires trimestriel ne s’élève qu’à 102 M$, soit une progression de 3,5% par an. Cela reflète une entreprise du secteur alimentaire qui n’enregistre aucune croissance, et qui est totalement incompatible avec sa valorisation de 9 Mds$ (ou 20 fois son chiffre d’affaires).

Les marques alimentaires qui réalisent des marges élevées, telles que Nestlé et Hormel Foods, enregistrent ce type de taux de croissance, et cotent selon un multiple de 2 ou 3 fois le chiffre d’affaires.

Même si Beyond Meat était très rentable, et valorisée comme ses homologues – qui réalisent des marges élevées – son action coterait 80% à 90% plus bas. Mais la société est loin d’être rentable, et sa situation cumule les inconvénients : elle n’enregistre aucune croissance et n’est pas encore rentable…

La croissance du chiffre d’affaires de Beyond Meat a brusquement ralenti et pourrait devenir négative en 2021. Et l’entreprise doit encore réaliser de vraies économies d’échelle. Elle a même perdu de l’argent au 4e trimestre, selon son Ebitda ajusté.

Cette partie de la publication des résultats révèle que les activités de Beyond Meat enregistrent actuellement un levier d’exploitation négatif :

« La marge brute ajustée [a été] de 28,5% du chiffre d’affaires net, au 4e trimestre 2020, par rapport à un profit brut ajusté de 33,5 M$, ou à une marge brute ajustée de 34% du chiffre d’affaires net, à la même période l’an dernier. La baisse du profit brut ajusté et de la marge brute ajustée est surtout due à une absorption plus faible des coût fixes de production. En particulier, la récente réduction des volumes de production, surtout au 3e trimestre 2020, a entrainé une augmentation du financement des coûts fixes d’inventaire au 3e trimestre, ce qui a ensuite été considéré comme une hausse du coût de revient unitaire des produits vendus au 4e trimestre 2020, dans la mesure où la société a liquidé ce qui restait en stock ».

Ce sont des signaux d’alarme indiquant une demande limitée et une concurrence grandissante.

Malgré les signaux d’alarme, la direction a plus que doublé ses dépenses d’investissement entre 2019 et 2020. En effet, dans ce contexte de marché, les discours portant sur l’avenir et la construction de capacités anticipant une future demande sont encore populaires, du moins pour l’instant.

Pour faire perdurer ce discours de croissance, la direction a détourné l’attention des mauvais résultats publiés. Elle a annoncé un « accord stratégique international sur trois ans avec McDonald’s Corporation ».

Cette annonce a eu pour effet de faire bondir l’action. Mais le rebond n’a pas duré longtemps. Un peu plus tard, McDonald’s a précisé dans cet article paru sur Bloomberg que Beyond Meat serait le « fournisseur international privilégié » du steak aux plantes McPlant, dans le cadre d’un contrat de trois ans.

Aucune exclusivité ne figure dans ce contrat.

McDonald’s n’a pas pour habitude de maintenir dans ses menus des produits qui perdent de l’argent. Si la demande en faveur du McPlant est faible, alors le volume de produits que Beyond Meat pourra vendre sur ce créneau, à l’avenir, ne représentera qu’une infime partie des attentes.

Depuis la publication financière de la semaine dernière, les estimations de bénéfice par action (EPS) du consensus ont chuté de 0,15 $ à -0,20 $ (donc une perte), pour 2021. Les estimations relatives à 2022 ont chuté de 0,67 $ à 0,22 $.

Cette baisse des estimations du bénéfice par action prouve que le rendement sur capitaux investis que pourrait offrir BYND, à son cours actuel, est en train de s’effondrer.

Est-ce que les investisseurs « qui voient jusqu’en 2050 » vont encore conserver BYND ?

Certains le feront. Mais beaucoup d’entre eux vont vendre, et exercer une pression sur le cours de l’action. Car de plus en plus d’éléments prouvent qu’il va régner beaucoup d’incertitude, autour de l’augmentation de la demande, des marges et de la concurrence, dans le secteur des fausses viandes, d’ici 2050.

Oh, et puis il existe également la possibilité que les rendements des bons du Trésor américain continuent d’augmenter, ce qui amplifierait l’impact négatif sur l’actualisation des futurs flux de trésorerie, surtout ceux qui pourraient exister (ou pas) en 2050 et au-delà.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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