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Alerte n°212 – Le « bull » des bons du Trésor se poursuit

Par 6 mars 2019AGD Alertes

Jim Rickards

Cher lecteur,

En 1895, Mark Twain se trouvait à Londres pour une série de conférences. Un journaliste de New York l’a contacté en lui demandant des nouvelles de sa santé car certaines rumeurs le disaient malade, voire peut-être mort. La réponse de Twain est devenue un classique. Voici ce qu’il a écrit : « Je comprends parfaitement que des rumeurs concernant ma maladie aient circulé, j’ai même entendu de source sûre que j’étais mort. (…) Les rumeurs concernant ma mort sont très exagérées ».

On peut dire la même chose du rally qu’opèrent depuis près de 40 ans les cours des bons du Trésor. Les rumeurs concernant sa mort sont très exagérées.

Ce rally de marché historique a débuté en septembre 1981, alors que le rendement à maturité du bon du Trésor américain à 10 ans était de 15,82%. C’était au lendemain des efforts déployés par Paul Volcker pour anéantir l’inflation. Volcker a poussé le taux de base de la Fed (Fed Funds rate) à 20%, en juin 1981, afin d’écraser l’inflation qui avait atteint un pic de 14,8% en mars 1980. Les efforts de Volcker ont porté leurs fruits. Dès 1983, l’inflation avait chuté à 3% et le grand marché haussier des bons du Trésor s’est mis en marche.

Photo de Jim Rickards

Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, se révèle plus apte que ces prédécesseurs – Ben Bernanke et Janet Yellen – à se tourner vers l’avenir afin d’évaluer l’impact de la politique de la Fed, au lieu de ne s’appuyer que sur les données actuelles. La question est de savoir s’il est déjà trop tard pour éviter que le ralentissement économique ne s’aggrave. L’économie réagit à la politique menée par la Fed en 2017-2018, et non à ce qu’elle fait aujourd’hui. Par conséquent, le ralentissement de la croissance et la désinflation vont persister.

Voici un rappel des calculs de base concernant les bons du Trésor : les cours et les rendements évoluent en sens inverse. Lorsque nous disons que les rendements baissent, cela veut dire que les cours des bons du Trésor augmentent. Un effondrement des rendements est une aubaine pour ceux qui ont investi dans les bons du Trésor : ils réalisent d’énormes gains financiers.

Cet effet est amplifié par un autre concept appelé « duration » ou « convexité ». En langage clair, cela signifie que les gains financiers réalisés sur les baisses de rendement sont plus importants que les niveaux absolus de ces baisses de rendement. Si les rendements chutent de 0,50% et passent de 4% à 3,5%, ceux qui ont investi dans les bons du Trésor réalisent un joli gain financier.

Mais si cette même baisse de 0,5% du rendement se produit lorsque les taux démarrent à 2,7%, alors le gain financier est encore plus important. Le contexte actuel de faibles rendements est une mine d’or pour les investisseurs en quête d’énormes gains, même avec d’infimes baisses des taux.

Depuis des années, les gourous experts en bons du Trésor avertissent les investisseurs que le rally obligataire est mort, que les rendements ne peuvent pas baisser davantage, que l’inflation est imminente et qu’il est temps de sortir des bons du Trésor ou de les « shorter » (pari à la baisse/position vendeur) pour réaliser des gains à mesure que les taux regrimperont inévitablement.

Ce conseil s’est révélé systématiquement faux.

Certaines hausses de rendement ont eu lieu, au cours de ces dix dernières années, mais elles n’ont jamais été durables. Chacune d’elles s’est heurtée à un mur entre 3,25% et 3,95%, avant de faire marche arrière promptement. Certaines baisses de rendement sont tombées jusqu’à 1,45% (juin 2010) et à 1,36% (juillet 2016), produisant ainsi d’énormes gains pour les investisseurs qui s’étaient positionnés lorsque les rendements étaient bien plus élevés, avant ces chutes.

Cette incompréhension de la part des gourous, et l’incapacité des rendements à franchir la barre des 3,5%, ont quelque chose à voir avec la confusion qui existe entre rendements nominaux et rendements réels.

Il est vrai que les rendements nominaux (rendements indiqués sur les écrans et graphiques de cours) sont bas, au regard des cinquante dernières années. Mais ils ne le sont pas si on les compare aux niveaux enregistrés dans les années 1950 (période de « répression financière » orchestrée par la Fed), et dans les années 1930 (pendant la Grande Dépression). Autrement dit, nous avons déjà vécu cela, mais pas du vivant de la plupart des cowboys de Wall Street.

Plus important encore, les rendements nominaux sont peut-être bas mais les rendements réels ne le sont pas. Pour caculer un rendement réel, il faut prendre le rendement nominal et en soustraire l’inflation. Cela produit des résultats surprenants.

Par exemple, en 1981, lorsque le rendement nominal des bons du Trésor à 10 ans était de 15,82% et le taux d’’inflation de 14,80%, le rendement réel n’était que de 1,02%. Si vous vous servez du taux des Fed Funds au lieu des bons du Trésor à 10 ans, le rendement réel de 1981 est négatif, à -5,2%. Autrement dit, non seulement il y avait de l’argent gratuit, mais le prêteur vous payait 5,2%, en termes réels, pour que vous empruntiez.

Comparez cela aux taux actuels : le taux réel du bon du Trésor à 10 ans est d’environ 1,5%. Les rendements réels sont en fait plus élevés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 1981, contexte où les taux nominaux étaient à 15,82% ! Cela signifie qu’il existe toujours une possibilité de baisse des rendements réels, et que le « bull » obligataire peut encore durer.

Les analystes ont mis du temps à admettre cette réalité. En effet, les attentes concernant l’inflation sont bien ancrées, à la fois en raison de l’expérience des années 1970 et 1980, et parce que les investisseurs n’ont pas l’habitude des taux nominaux bas, ni de passer de l’autre côté du miroir pour convertir les taux nominaux en taux réels, en intégrant la désinflation. Mais à présent, Wall Street et les investisseurs se rattrapent.

Le changement d’anticipation de l’inflation, chez les investisseurs, est profond. Voici un extrait du Wall Street Journal de dimanche dernier :

« Un indicateur très surveillé, correspondant à l’anticipation de l’inflation annuelle moyenne sur 10 ans, et connu sous le nom de point mort dérivé des bons du Trésor à 10 ans (TIPS), est demeuré au-dessous de l’objectif de 2%. Jeudi, ce point mort d’inflation, mesuré par la différence de rendement entre les bons du trésor à 10 ans et les TIPS à dix ans, était de 1,95%. Il est en hausse par rapport à ses récents plus bas de décembre, mais toujours au-dessous de 2,18%, son plus haut sur quatre ans atteint en mai. (…) Pourtant, un marché de l’emploi en tension n’a pas suffi à maintenir constamment le taux d’inflation aux 2% fixés par la Fed. Cela suscite des débats, au sein des économistes, autour de la question de savoir si certains facteurs tels que la diminution du pouvoir des syndicats et la mondialisation avaient créé un environnement dans lequel l’inflation resterait probablement faible. »

La désinflation ne va pas disparaître. La Fed peut bien la craindre, elle n’a pas le pouvoir de la stopper. L’inflation et la désinflation ne sont pas motivées par la masse monétaire, comme l’affirment les économistes de l’Ecole autrichienne et les Néo-Keynésiens. La désinflation est motivée par de puissantes dynamiques techniques et psychologiques.

La dynamique désinflationniste clé est la démographie. En Europe, au Japon, en Russie, en Chine et aux Etats-Unis, soit la démographie décline, soit elle stagne.

Les Etats-Unis sont parvenus à augmenter légèrement leur population au cours de ces dernières années, mais uniquement via l’immigration, et non les naissances. Trump tentant de stopper l’immigration clandestine, ce soutien disparaît, et les Etats-Unis ressemblent désormais à la Chine, avec une tendance démographique stagnante.

Comme le rendement économique est tout simplement le produit de la population en âge de travailler et de la productivité, une population qui stagne (associée au récent déclin de la productivité) signifie que la croissance économique stagne. Il s’agit de la première cause de désinflation.

Si l’on prend en compte ces puissantes tendances désinflationnistes, quelles sont les perspectives du marché des bons du Trésor, à court terme ?

En ce moment, nos analyses nous révèlent que les rendements des bons du Trésor affichent une tendance à la baisse (accompagnée de volatilité) et que les investisseurs se positionnant aux niveaux actuels pourraient réaliser d’énormes gains.

Comme le graphique ci-dessous l’indique, les rendements des bons du Trésor à 10 ans ont atteint un pic de 3,94% en avril 2010, sur la base de promesses d’un « été de la relance économique » formulées cette année-là par Tim Geithner (alors Secrétaire au Trésor américain), et des promesses perpétuelles de signes précurseurs de reprise économiques, ces « pousses vertes » (green shoots), ressassées sur CNBC et d’autres médias. Ces promesses ne se sont jamais réalisées et les rendements se sont toujours orientés à la baisse, depuis.

Taux de l’échéance constante (TEC) des bons du Trésor à 10 ans

Graphique IPC

Depuis 2010, les rendements ont enregistré un pic de 3,6% en février 2011, de 3% en décembre 2013, et tout récemment, de 3,2% en octobre 2018.

Chaque fois, les « baissiers » ont déclaré que c’était « la fin du marché haussier » (amorcé en 1981) et qu’une sorte d’apocalypse obligataire se profilait à l’horizon. Et à chaque fois ils ont eu tort.

Les rendements ont chuté de 3,94% en avril 2010 à 2,39% en octobre 2010.

Ils ont à nouveau chuté de 3,6% en février 2011 à 1,45% en juin 2012.

Et une fois encore, de 3,2% en octobre 2018 à 2,6% en février 2019.

Chacune de ces baisses des rendements s’est traduite par d’énormes gains financiers pour ceux qui avaient investi dans les bons du Trésor.

Deux tendances distinctes entrent en jeu, en l’espèce.

Premièrement, les rendements ne parviennent pas à dépasser durablement les 3,5%. Une fois qu’ils atteignent ces niveaux, l’économie ralentit, la Fed assouplit sa politique monétaire (pas en abaissant les taux mais en marquant des « pauses » sur la voie du relèvement, et en faisant passer des messages) et les rendements commencent à baisser. Ces tournants représentent d’excellents points d’entrée, pour les investisseurs anticipant le prochain rally.

Deuxièmement, la série de pics baisse, globalement : 3,94% (avril 2010), 3,60% (février 2011) et 3,20% (octobre 2018). D’autres pics intermédiaires (voir le graphique) confirment cette tendance globale. Cela signifie que les investisseurs qui attendent que les rendements atteignent 3,50% avant de se positionner seront déçus. Les rendements à maturité actuels, de 2,625%, n’iront peut-être pas plus haut pendant un moment, et pourraient s’inscrire dans une nouvelle baisse des rendements (et un rally des cours) susceptible de durer des mois, voire plus longtemps encore.

Le moteur le plus important, pour les rendements, ce sont les anticipations d’inflation. D’autres facteurs jouent un rôle (l’offre et la demande, les écarts de taux de change, la politique de la Fed, la fuite vers les valeurs refuges), mais l’inflation est le facteur le plus important. Or les anticipations d’inflation baissent rapidement pour les raisons expliquées ci-dessus.

Actuellement, la Fed est « à fond » en mode « dove » (accommodant). Les facteurs désinflationnistes tels que le ralentissement de la croissance mondiale, les guerres commerciales, la vigueur du dollar (pour permettre à l’Europe et au Japon d’affaiblir leurs monnaies), la démographie, la productivité en baisse et les technologies ne vont pas disparaître. En fait, ces tendances désinflationnistes se renforcent.

Les marchés viennent d’admettre cette réalité. Ceux qui annoncent la mort du rally obligataire, notamment des personnalités telles que Bill Gross, sont à côté de la plaque.

Le rally obligataire historique est toujours là, aussi bien à court terme qu’à long terme.

Bien à vous,

Jim Rickards

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