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Alerte n°237 – La guerre des devises avec la Chine va s’intensifier

Par 16 mai 2019AGD Alertes

Jim Rickards

Cher lecteur,

Les événements de ces dernières semaines indiquent que les Etats-Unis et la Chine en sont aux premiers stades d’une guerre froide économique. Cela a d’importantes conséquences pour le « peg » approximatif existant entre le yuan chinois et le dollar américain.

Le camp américain adopte une approche commerciale plus orientée confrontation, et le camp chinois riposte.

Indépendamment du camp qui a déclaré cette guerre, elle constitue une réalité à laquelle les investisseurs doivent faire face. En connaissant les risques que présentent certaines classes d’actifs et devises spécifiques, vous pourrez avoir une longueur d’avance sur tous les autres.

Russel Napier a étudié ces questions dans le numéro de mai de The Solid Ground, qui part du postulat que le système monétaire mondial est au bord d’un réalignement qui ne survient que quelques fois par siècle. Le dernier réalignement majeur fut la fin du système de Bretton Woods, au moment où le président Nixon a dévalué le dollar face à l’or, en août 1971.

Voici un extrait essentiel de l’article de Napier :

« Bon nombre de responsables politiques et investisseurs savaient que le système de Bretton Woods ne pourrait pas être maintenu très longtemps, avant que l’on cesse de le maintenir. En Chine, un débat semblable existe depuis quelques années. Combien de temps, encore, la politique monétaire chinoise pourra-t-elle être déterminée en reliant le taux de change à un panier d’autres devises dominées par le dollar américain et qui sont, via leurs propres politiques monétaires, des « quasi-USD » ? Conséquence de cette politique, le bilan de la PBOC (banque populaire de Chine) est désormais plus modeste qu’il ne l’était en 2017, et pas beaucoup plus important qu’il ne l’était en 2014.

Avec une telle restriction clé sur la création monétaire, le moteur de la croissance est donc essentiellement le crédit non bancaire, avec comme conséquence inévitable un ratio dette/PIB toujours plus élevé : les données de la BRI (banque des règlements internationaux) sont limpides sur le fait qu’il n’y a eu aucun désendettement concret lors de la soi-disant politique de désendettement de la Chine. La Chine a désormais sur les bras une balance des paiements faiblement excédentaire attaquée par les tarifs douaniers américains et, malgré des flux d’investissements de portefeuilles déclenchés par des changements de pondération sur les indices, un déficit de sa balance des capitaux, et toujours aucune augmentation des réserves étrangères/réserves des banques commerciales.

La politique monétaire actuelle – en quête d’un taux de change stable et, aussi, d’une forte croissance du PIB, et avec un peu de chance d’une baisse du ratio dette/PIB – ne fonctionne pas. Cela va s’aggraver encore dans la mesure où les mesures prises par les Etats-Unis réduisent la taille de l’excédent de la balance des paiements de la Chine, ou bien aggravent encore plus le déficit de sa balance des capitaux. De façon plus directe, comment deux adversaires pris dans une guerre froide peuvent-ils relier leurs taux de change ?

Qui sait à quel moment les responsables politiques chinois seront prêts à capituler, mais plus il est clair que nous entrons dans une guerre froide, plus il est clair que la Chine devra évoluer vers une politique monétaire indépendante. Les guerres froides et les changements de régimes monétaires surviennent exactement comme l’avait annoncé Hemingway à propos des faillites : « progressivement puis brutalement ».

Dans le cadre d’Alertes Guerres des Devises, Jim nous met en garde depuis plusieurs années contre le caractère non soutenable du crédit et du système monétaire de la Chine.

Notre dernier commentaire consacré à cette question date du 28 janvier dernier, dans le numéro intitulé « Un risque croissant de dévaluation de la monnaie chinoise ». Ce commentaire date désormais de quatre mois, alors cela valait la peine de le reprendre avec des chiffres et graphiques plus récents.

Nous reprenons ce commentaire en y actualisant les chiffres car à la lumière de l’augmentation des tarifs douaniers mise en place par l’administration Trump vendredi dernier, il est clair que la dévaluation du yuan représente la riposte potentielle chinoise la plus puissante.

Il est également intriguant que la banque centrale chinoise réduise son bilan, en fait, à un moment où les investisseurs pensent que le stimulus monétaire chinois bat son plein.

Lorsque les investisseurs ignorent les signaux d’avertissement figurant dans les bilans, les faillites suivent. Depuis la crise financière de 2008, la plupart des pays ont sacrifié la qualité de leur bilan pour soutenir la croissance du PIB.

Mais aucun pays n’arrive à la cheville de la Chine, s’agissant de sacrifier son bilan pour doper ses déclarations de revenus (PIB).

La totalité des actifs bancaires de la Chine a été multipliée par 10, passant de 33 000 Mds CNY (yuans) au quatrième trimestre 2007 à 352 000 Mds CNY au troisième trimestre 2018. Observez la ligne rouge, ci-dessous :

Actifs du système bancaire chinois (en milliers de milliards de yuans [CNY])
actifs du système bancaire chinois

Au taux de change actuel, 352 000 Mds CNY représentent près de 51 000 Mds$ d’actifs bancaires. A titre de comparaison, c’est presque trois fois plus que la totalité des actifs du système bancaire américain, qui s’élève à 17 200 Mds$.

Lorsque les prêts sont créés dans la colonne « actif » des bilans des banques, on crée des dépôts (devise) dans la colonne « passif ». Les dépôts sont immédiatement crédités sur le compte de la société ou de l’individu qui a souscrit le prêt. Donc, l’excédent d’épargne des ménages chinois, dont vous entendez souvent parler dans les médias, est fonction de la croissance des prêts bancaires (et non d’une démarche économe).

Cet argent frais, issu du crédit, est ensuite dépensé au sein de l’économie, pour financer des projets, des usines et de la main-d’œuvre. Il augmente l’offre et la demande en faveur de biens et services.

En Chine, une grande partie de cet argent a été dépensée pour financer de nouvelles capacités dans les secteurs de la construction et de l’immobilier. Cet argent a produit une surabondance d’immeubles résidentiels et d’immobilier commercial. Sans cette bulle du crédit, l’économie chinoise ne se serait pas développée dans des proportions aussi vastes. Sa demande en faveur de matières premières aurait été bien plus modeste. Et, actuellement, elle ne se retrouverait pas, non plus, engagée dans cette fuite en avant financière pour soutenir son système bancaire…

Le problème qui couve au sein du système bancaire chinois est le suivant : plus on construit de biens immobiliers vides et ne rapportant aucun loyer, moins l’argent peut retourner dans les bilans des banques (sous forme d’intérêts et de paiement du principal). Si ces prêts improductifs forment un pourcentage trop important de la totalité des prêts, alors le système bancaire pourrait subir une crise de liquidité. Les déposants opérant des retraits massifs auprès des banques pourraient provoquer une faillite.

Il n’est pas question que le Parti communiste chinois laisse une « panique bancaire » aller très loin. Alors il encourage la hausse permanente des prêts bancaires (en ne menant que de brèves campagnes ponctuelles sur la réforme du système bancaire).

Tant que les prêts bancaires progressent à un rythme rapide, il y a toujours plein d’argent frais pour maintenir une liquidité malsaine au sein du système bancaire. Les crises surgissent lorsque l’augmentation des prêts (et celle de la masse monétaire) ralentit au point que les prêts improductifs réalisés antérieurement deviennent trop visibles pour qu’on les ignore.

A ce stade, le Parti communiste chinois forcera la banque centrale à élargir son bilan, et à créer autant de yuans frais qu’il en faudra pour stopper la crise de liquidité, en injectant des liquidités dans les banques.

Là, on retombe sur le thème suivant : de quelle façon la politique monétaire interne de la Chine peut-elle affecter les marchés financiers mondiaux et le marché des changes ?

Depuis que le Parti communiste chinois a commencé à accorder à ses sujets une certaine liberté économique, il y a plusieurs dizaines d’années, la politique de la banque centrale chinoise, la Banque populaire de Chine, représente une dynamique forte au sein du système monétaire mondial.

La Banque populaire de Chine, dans le cadre de son mandat, a joué un rôle primordial dans la gestion du taux de change dollar US/yuan chinois.

Au cours d’une grande partie de ces vingt dernières années, alors que la Chine enregistrait de vastes excédents commerciaux, la Banque populaire de Chine s’est efforcée de réprimer le cours du yuan face au dollar.

Ces dernières années, la Chine est devenue moins compétitive, en tant que fabricant (en raison, en partie, de la croissance rapide du crédit et de la masse monétaire), et son excédent commercial a diminué. En outre, la population et les entreprises chinoises ont découvert des moyens de contourner le contrôle des capitaux et de faire sortir de l’argent du pays. Ces deux événements ont forcé la Banque populaire de Chine à soutenir la valeur du yuan face au dollar. Ce soutien limite ce que la Banque populaire de Chine peut faire avec son bilan.

A un moment donné, au cours des prochaines années, la Banque populaire de Chine recevra probablement l’instruction de mettre fin à sa politique de soutien du taux de change du yuan, et de se concentrer sur un nouveau mandat : renflouer le système bancaire chinois via un quantitative easing (assouplissement quantitatif). Ce stade auquel le yuan se « désarrimerait » du dollar pourrait être accéléré par le fait que Trump a augmenté les tarifs douaniers le 10 mai dernier.

Actuellement, le bilan de la Banque populaire de Chine affiche environ 35 000 Mds CNY d’actifs. Cela ne représente qu’une petite partie des 352 000 Mds CNY du système bancaire chinois. Il se pourrait que 30 à 60 000 Mds CNY de prêts improductifs non viables présents dans le système bancaire chinois soient exposés, s’ils ne sont pas constamment refinancés.

Par conséquent, la Banque populaire de Chine pourrait être forcée de doubler, voire tripler, son bilan afin d’injecter assez de liquidités dans les banques pour compenser ces prêts improductifs.

La progression du bilan de la Banque populaire de Chine a ralenti, ces derniers mois, comme l’indique la ligne bleue ci-dessous.

Cela s’est aggravé, depuis janvier :

Progression de la totalité des actifs de la Banque populaire de Chine
actifs du système bancaire chinois

La progression en baisse des actifs de la Banque populaire de Chine est le signe que la liquidité se contracte dangereusement, au sein du fragile système bancaire chinois. Il se peut que le Parti communiste chinois ait besoin d’ordonner une nouvelle salve de prêts bancaires, ou une nouvelle augmentation des actifs de la Banque populaire chinoise. Nous avons constaté une envolée du crédit en janvier, mais il semblerait qu’une grande partie de cet argent ait servi à refinancer des prêts non performants. Chaque nouvelle envolée du risque de crédit bancaire déclenche une nouvelle vague de fuite des capitaux, ce qui exerce une pression sur la valeur du yuan face au dollar.

Bref, la Chine ne peut maintenir à la fois son taux de change face au dollar et continuer à soutenir son fragile système bancaire. Le Parti communiste chinoise doit choisir une voie, et il choisira certainement celle de la dévaluation.

Une vaste dévaluation du yuan offrirait un avantage supplémentaire : ce serait une riposte proportionnelle aux tarifs douaniers infligés par le président Trump.  Par exemple, si les tarifs douaniers appliqués aux exportations chinoises vers les Etats-Unis passent de 10% à 25%, cela pourrait entraîner la riposte suivante : une dévaluation de 15 à 20% du yuan face au dollar.

Cette dévaluation compenserait les effets des tarifs douaniers, du moins pour les exportateurs chinois. Mais dans le même temps, cela ferait augmenter le coût des importations chinoises de matières premières (comme le pétrole et les métaux de base), ainsi que le prix des biens d’équipement.

Une dévaluation du yuan représente un risque grandissant, pour les pays et les entreprises qui s’appuient sur la vente de matières premières et de biens d’équipement à la Chine. La faiblesse du yuan abaisserait le pouvoir d’achat de la Chine, au sein de l’économie mondiale, et aurait l’effet d’un choc déflationniste, dans le monde entier. Ce serait là une offensive majeure, sur le front des guerres des devises.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Alerte Guerre des Devises

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