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Alerte n°244 – La faillite d’une banque chinoise soulève des craintes de contagion

Par 7 juin 2019AGD Alertes

Jim Rickards

Cher lecteur,

La plupart des investisseurs n’ont jamais entendu parler de la banque chinoise Baoshang.

Mais la faillite de cette banque de Mongolie intérieure, vendredi dernier, pourrait déclencher une série de retraits bancaires massifs et de faillites en Chine.

La banque centrale chinoise, la Banque populaire de Chine (BPC), a annoncé vendredi dernier qu’elle allait prendre le contrôle de Baoshang en raison d’un « important risque de crédit ».

La BPC pense que cette prise de contrôle va durer un an. La China Construction Bank, une grande banque contrôlée par l’Etat, gèrera les activités quotidiennes de Baoshang.

Ceux qui sont haussiers sur la Chine jugeront que cette faillite bancaire n’est qu’un incident ponctuel. Mais comme il s’agit de la première prise de contrôle sur une banque annoncée en près de 20 ans, elle va forcément inquiéter certains déposants.

Selon Reuters :

« La banque Baoshang avait 156,5 milliards de yuans (22,68 Mds$) d’encours de prêts à fin 2016, soit un bond de 65% par rapport à fin 2014, selon les derniers chiffres relatifs à ses actif et passif, publiés sur son site. Son ratio de prêts non performants était de 1,68% en décembre 2016. Depuis, elle n’a publié aucun rapport annuel, évoquant son intention de rechercher des investisseurs stratégiques.

Les prêts non performants (« NPL ») sont ce que leur nom évoque : des prêts dont les intérêts ne sont pas versés et dont le principal n’est pas remboursé. Le calcul du ratio de prêts non performants correspond à la somme en dollars des prêts non remboursés, exprimée en pourcentage de la totalité des prêts accordés par une banque. »

Aux Etats-Unis, les banques ne passent pas d’un ratio NPL de 1,68% à la faillite en l’espace de deux ans. Le ratio publié par Baoshang devait être frauduleusement bas.

C’est un secret de Polichinelle, les banques chinoises – et même les plus grandes banques contrôlées par l’Etat et présentes dans les ETF chinois tels que FXI – trafiquent les chiffres de leurs prêts non performants.

Si vous pensez que la comptabilité de type « mark-to-model » [NDLR : valorisation sur la base d’un modèle financier] des banques américaines est mauvaise, alors elle l’est probablement 10 fois plus en Chine. Aux Etats-Unis, au moins, il existe davantage de vérifications et de procédures d’audit ayant fait leurs preuves et permettant de réduire la fraude comptable. En Chine, on a trop peur des autorités supérieures pour annoncer de mauvaises nouvelles.

Au sein de tout système bancaire avancé, lorsque de nouveaux crédits sont accordés à un rythme infernal, l’activité économique prospère… jusqu’à ce que ces crédits ralentissent, voire se retournent, en fait. Le « miracle » économique chinois n’est guère plus qu’une bulle du crédit que le président Xi a de plus en plus de mal à gérer.

Les banques chinoises sont les instruments de la politique d’Etat. Il devient de plus en plus clair que les investisseurs occidentaux, en particulier, auront probablement du mal à récupérer une valeur substantielle, à l’avenir, sur leurs participations dans ces banques.

Cela rappelle un événement étrange qui s’est produit sur les actions bancaires chinoises, il y a un an…

En mars 2018, l’Agricultural Bank of China, contrôlée par l’Etat, a annoncé qu’elle allait diluer son actionnariat de 8% dans le cadre d’une nouvelle émission d’actions de 100 milliards de yuans. A l’époque, son action se négociait à un prix décoté de 17% par rapport à sa valeur comptable officielle, alors même que la banque publiait de bons chiffres concernant la qualité des prêts. Son tout dernier ratio NPL est de tout juste 1,59%.

L’Agricultural Bank, comme ses semblables, a vu son portefeuille de prêts augmenter de façon colossale, depuis 2009. Alors son véritable ratio NPL est sûrement supérieur au 1,59% publié. Sinon, pourquoi organiser une levée de fonds pénalisant les actionnaires, à un prix décoté par rapport à la valeur comptable ?

Il y a plus douteux encore : il semblerait que d’autres entreprises d’État se soient portées acquéreuses de ce placement privé. La plupart des entreprises d’État se débattent avec de faibles marges bénéficiaires, une surcapacité et des bilans affichant un passif.
Financièrement, elles ne sont pas en situation de participer à une levée de fonds, à moins d’emprunter pour le faire.

Il est probable qu’en fin de compte, les 100 milliards de yuans levés par Agricultural Bank proviennent d’autres banques contrôlées par l’État. Autrement dit, d’autres banques pourraient détenir des actions d’Agricultural Bank (ou des prêts qui ont financé l’achat des actions) dans la colonne « actifs » de leurs bilans.

Les banques chinoises se sont maintenues à flot en refinançant des prêts irrécouvrables à mesure qu’ils arrivaient à échéance. Toutes les grandes banques publient des ratio NPL se situant dans une fourchette étrangement proche, variant de 1,4 à 1,6%.

Est-ce que cela signifie que si leurs ratios NPL dépassent le ratio de 1,68% de la banque Baoshang, elles seront au bord de la faillite ? Pas forcément.

Le constat le plus juste est plutôt le suivant : ce sont les plus grandes banques chinoises qui courent le risque de faire faillite si elles cessent de refinancer les emprunteurs qui ne remboursent pas. Mais combien de temps cela peut-il durer ? Le refinancement de prêts impayés est une pratique entraînant d’importantes conséquences sur le long terme. Entre autres :

  1. Il sape la productivité du secteur privé en soutenant des emprunteurs défaillants. Les sociétés qui devraient mettre la clé sous la porte restent ouvertes grâce aux dettes refinancées et aggravent les excédents d’offre. Au final, cela produit une baisse de la marge bénéficiaire des concurrents les mieux gérés exerçant dans tous les secteurs où leurs homologues sont soutenus par des prêts bancaires accommodants.
  2. Cela entraîne une baisse des bénéfices des banques, car même si les banques ne récupèrent pas d’intérêts sur les prêts non performants, elles doivent tout de même en verser aux déposants.
  3. L’offre de yuans créée par les banques chinoises et injectée dans l’économie locale progresse à un rythme qui dépasse les capacités de production de l’économie. Autrement dit : Le refinancement de prêts impayés peut générer un contexte d’inflation chronique s’accompagnant d’une détérioration de la productivité.

On dirait que les responsables de la planification centrale, en Chine, sont bien conscients des conséquences du refinancement perpétuel de ces prêts impayés. Alors ils sont en train d’expérimenter l’instauration d’une certaine dose de discipline financière. Mais cette voie est également périlleuse, car elle pourrait pousser les déposants à opérer des retraits massifs dans les banques et dans le système de crédit en général.

Plus d’une semaine avant la faillite de Baoshang, Julian Evans-Pritchard, de Capital Economics, a publié une excellente analyse concernant le système bancaire chinois.

En voici un extrait essentiel, dont j’ai mis en avant certains passages en caractères gras :

« [Il existe] de bonnes raisons de penser que les banques détiennent plus de créances douteuses qu’elles ne l’admettent. Les normes comptables laxistes signifient que beaucoup de NPL sont plutôt classés comme des prêts à « mention spéciale » [NDLR : prêts dont la date de remboursement est dépassée mais pas encore considérés comme non performants]. Le volume total de ces prêts représente environ le double de celui des prêts formellement identifiés comme NPL. Il paraît que les banques ont également évité de déclarer des créances douteuses en les restructurant en tant qu’actifs autres que des prêts (« nonloan assets »).

L’une des façons d’évaluer l’étendue des créances douteuses consiste à étudier les rapports financiers des établissements non financiers cotés. Selon nos calculs, dès la fin de l’année 2018, environ 13% des dettes des sociétés cotées présentaient un risque de défaut. Nous avons classé les dettes d’entreprise dans la catégorie « à risque » si le coût des intérêts dépassait leurs bénéfices avant paiement des intérêts et taxes. Cela permet de faire remonter le niveau du véritable ratio NPL, dans la mesure où certaines entreprises sont capables d’honorer le service de leurs dettes « à risque » en puisant dans leur trésorerie ou en vendant des actifs.

A l’heure actuelle, les règles obligeant à déclarer les NPL sont en train de devenir beaucoup plus strictes, et exigent que les banques déclarent tous les actifs non performants impayés depuis plus de 90 jours. Cela va les forcer à reconnaître, et à passer en pertes, beaucoup plus de créances douteuses. L’autre solution – le maintien d’un statu quo visant à « refinancer et sauver les apparences » – va également devenir de plus en plus difficile à justifier, commercialement, à mesure que les banques verront leur rentabilité baisser. Le rendement sur les actifs des banques est de tout juste 0,9%, soit le plus faible enregistré depuis plus de dix ans.

Un récent audit des banques exerçant dans la province du Henan fait ressortir un énorme écart entre ratios NPL au sein du système bancaire. Alors que plus de la moitié des 93 banques commerciales de cette province ont des ratio NPL inférieurs à 5%, 12 d’entre elles affichent des ratios dépassant les 20%, et « plusieurs » autres banques dépassent les 40%. Cela met en évidence que même si les grandes banques nationales peuvent gérer une future détérioration de la qualité des actifs, certaines petites banques régionales non cotées sont déjà au bord de l’insolvabilité, et auront besoin de l’aide de l’Etat pour maintenir leurs activités. »

Evans-Pritchard décrit un scénario selon lequel une seule faillite bancaire pourrait engendrer une cascade d’autres faillites :

« [Bien que] pratiquement toutes les crises bancaires impliquent une détérioration de la qualité des actifs, le véritable déclencheur d’une crise se situe systématiquement du côté « passif » du système bancaire. Voilà pourquoi il est inquiétant que les banques chinoises se soient détournées du financement par les dépôts, au cours de ces dix dernières années, pour s’orienter vers un refinancement interbancaire [NDLR : « wholesale funding » ou « financement de gros « , littéralement]. Heureusement, la campagne de désendettement a mis fin à cette tendance et contribué à limiter certains de ces financements « hors dépôts » les plus risqués. Mais il est clair que le passif du système bancaire n’est plus aussi sûr qu’il l’était, et que les banques régionales de taille moyenne sont particulièrement vulnérables.

Qu’est-ce qui pourrait provoquer le fait que le marché du refinancement interbancaire se grippe ? Aux Etats-Unis, en 2008, ce sont les inquiétudes concernant la qualité des actifs bancaires et le risque de contrepartie qui ont été le déclencheur. Mais en Chine, le fait que l’on prenne pour acquis le soutien de l’Etat signifie que les banques peuvent reconduire (« roll over« ) leurs refinancements sans que l’on regarde de près la qualité de leurs actifs. Jusqu’à présent, cela s’est vérifié, et les responsables régionaux sont discrètement intervenus pour renflouer des banques régionales en difficulté.

Nous pensons que l’augmentation du volume des NPL finira par obliger le gouvernement à financer une recapitalisation du système bancaire plus vaste. En restant indulgent, on peut considérer qu’étant donné ce soutien de l’Etat, cela pourrait se dérouler progressivement, au fil du temps, sans crise de liquidité ni une baisse brutale des prêts.

Mais c’est loin d’être garanti, cependant. La Chine possède des centaines de banques régionales, dont un nombre croissant va probablement rencontrer des difficultés au cours des années à venir. Alors il existe de nombreuses possibilités que des erreurs de politique soient commises. Si les autorités permettent à une petite banque de faire faillite en partant du principe que si cela arrive cela ne provoquera aucun risque systémique, alors cela pourrait remettre en question le soutien accordé par l’Etat à toutes les banques qu’il contrôle, et déclencher ainsi une crise de liquidité plus large et difficile à maîtriser. Les taux interbancaires mériteront d’être surveillés attentivement au cours des années à venir, afin de guetter des signes précoces de problèmes de liquidité bancaire.

Il existe d’innombrables combinaisons selon lesquelles une crise financière pourrait se produire en Chine. Mais voici, d’après nous, le scénario le plus plausible.

Les promoteurs immobiliers continuent de ne pas tenir compte des perspectives négatives concernant la demande de logements, et s’endettent encore plus tout en augmentant leur parc de terrains et stocks de biens invendus. Mais la forte reprise des ventes de logements qu’ils anticipent ne se matérialisera jamais et la confiance vis-à-vis du marché immobilier se dégradera.

Les prix des terrains chutent et, par conséquent, les écarts de crédit (« credit spreads ») sur les obligations des promoteurs s’élargissent nettement, plaçant certains promoteurs dans l’incapacité d’honorer leurs lourdes dettes. Le secteur de la construction ralentit nettement dans un contexte où le financement devient de plus en plus difficile et coûteux à obtenir.

Les responsables politiques réagissent avec quelques mesures de soutien mais sont limités par les niveaux de dette élevés et l’impact budgétaire d’une diminution des ventes de terrains. Par conséquent, le stimulus ne parvient pas à empêcher un ralentissement plus large de l’activité économique, ce qui provoque un surcroît de défauts de paiement sur les obligations et les NPL. Toutefois, l’impact sur la stabilité bancaire n’est pas immédiatement visible car les responsables politiques sont en mode « limitation des dégâts », et interviennent chaque fois qu’il le faut pour éviter une faillite bancaire.

Les choses commencent à s’améliorer. Le marché immobilier semble sortir de l’ornière et les craintes à l’égard de la croissance s’apaisent. Les banques régionales gèrent toujours la suite de l’envolée de créances impayées mais les autorités n’interviennent plus aussi rapidement et avec autant d’entrain pour les renflouer. Dans le cadre d’une réforme visant à relancer l’économie, elles décident de laisser les banques régionales en difficulté faire faillite, en partant du principe que les répercussions peuvent être maîtrisées, et qu’à long terme cela améliorera l’évaluation du risque au sein du système bancaire, tout en évitant que se reproduisent les décisions de prêt peu judicieuses ayant provoqué l’accumulation de créances douteuses.

Et c’est là que cela dégénère. Le niveau de soutien de l’Etat étant remis en question, les banques revalorisent le risque de contrepartie beaucoup plus brutalement que ne l’avaient anticipé les responsables politiques, et font flamber les taux interbancaires. Par conséquent, les banques qui s’appuient énormément sur le refinancement interbancaire rencontrent des problèmes de liquidité et font donc défaut sur certaines de leurs obligations, ce qui déclenche encore plus de panique.

Les autorités interviennent pour fournir des financements d’urgence, et les faillites bancaires à plus grande échelle sont évitées. Mais avant que la crise de liquidité ne s’apaise, énormément de dégâts ont déjà eu lieu. Les prix des actifs se sont effondrés et les écarts de crédit ont bondi, provoquant une nouvelle vague de défauts de paiement dans le secteur des entreprises. La Banque populaire de Chine mène une politique plus accommodante mais ne parvient pas à empêcher une chute brutale de la croissance du crédit, les banques rechignant à prêter, et les entreprises et ménages ayant peu envie d’emprunter et d’investir. »

Julian Evans-Pritchard a publié son article une semaine à peine avant la faillite de la banque Baoshang. On dirait que le président Xi a autorisé que cette banque régionale en difficulté fasse faillite. Il doit donc partir du principe que la BPC sera en mesure de maîtriser les répercussions.

Y aura-t-il contagion ? Si c’est le cas, cela se remarquera dans les taux de prêts interbancaires chinois. Et c’est quelque chose que nous allons surveiller de près au cours des semaines à venir.

En outre, si les taux de prêts interbancaires s’envolent, la BPC sera obligée d’inonder le système bancaire de liquidités. Une mesure aussi draconienne compliquerait la tâche de la BPC, s’agissant de défendre le peg entre le yuan et le dollar.

C’est un peu comme le Jeu de la taupe. Et c’est la conséquence d’une gigantesque bulle du crédit. Au départ, ces bulles ont l’attrait de la gratuité, en apparence, mais ensuite il faut payer l’addition. Cette addition peut se régler avec un effondrement déflationniste ou une dévaluation monétaire.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
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