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Alerte n°47 – Oui, les sociétés cotées peuvent tout de même faire faillite en période de QE

Par 24 janvier 2020Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Le goût du risque qui anime les investisseurs atteint des plus hauts historiques, et les actions battent de nouveaux records. La théorie selon laquelle rien de baissier ne peut arriver dans les secteurs des actions ou des obligations, tant que la Fed émet de l’argent – via le QE ou le « repo » – est à son paroxysme.

Mais les exemples du Japon et de l’Europe montrent que les actions ne s’apprécient pas toujours en période de QE. Les bénéfices des entreprises doivent systématiquement augmenter pour que les gains financiers dopés par le QE puissent durer. Par conséquent, une forte pression s’exerce sur les sociétés, pour qu’elles soient à la hauteur lors de la prochaine saison de publication des résultats.

L’appétit vorace des investisseurs pour le risque s’étend aux marchés du crédit. Les spreads de crédit (écarts de rémunération entre les crédits plus ou moins risqués) sur les obligations d’entreprises sont proches de leur plus bas record.

Pourtant, comme je vais vous le montrer dans un instant, certains segments du marché du crédit sont en difficulté, et provoquent des déclarations de faillite…

Actuellement, sur l’indice ICE (Intercontinental Exchange) BofAML (Bank of America Merrill Lynch), l’OAS (« Option-Adjusted Spread » : spread ajusté de l’option) sur les obligations d’entreprises notées BBB est de 1,29%. Cela signifie que les investisseurs obligataires sont prêts à accepter 1,29%, seulement, au-dessus des bons du Trésor, pour assumer le risque de défaut que présentent les obligations notées BBB.

Les obligations notées BBB pourraient faire défaut en cas de récession. Bien avant le défaut, la note de ces obligations serait dégradée à CCC. Au cours de ce processus de dégradation, leur cours chuterait et leur rendement augmenterait. (Vous trouverez un graphique représentant le spread de référence sur les obligations BBB, dans la base de données de la Réserve Fédérale de St. Louis.)

Les spreads sur les obligations notées CCC sont plus élevés, proches de 9,61%. Les investisseurs exigent des rendements bien plus élevés pour détenir des obligations notées CCC, car la probabilité de défaut est bien plus élevée.

Dans le cadre de Crash Speculator, nous surveillons la différence entre les spreads CCC et les spreads BBB afin de mesurer les craintes de défaut des investisseurs. Or, en ce moment, cette différence indique que les investisseurs sont bien moins tolérants au risque dans les segments les plus risqués du marché des obligations d’entreprise.

Les investisseurs obligataires pourraient même devenir encore moins tolérants au risque après cette nouvelle datant du 21 janvier : une déclaration de faillite de plusieurs milliards de dollars dans le secteur du génie civil et de la construction.

McDermott International Inc. (NYSE : MDR) est un fournisseur intégré de technologies et de solutions d’ingénierie et de construction destinées au secteur de l’énergie.

Le 21 janvier, McDermott a annoncé son intention de se placer sous la protection du Chapitre 11 de la loi américaine sur la faillite, avec le soutien financier de ses créanciers.

Pendant plus d’un siècle, des clients ont fait appel à McDermott pour concevoir et construire des infrastructures et des solutions technologiques permettant d’acheminer puis de transformer le pétrole et le gaz en produits demandés dans le monde. McDermott opère dans plus de 54 pays, emploie 32 000 salariés, et possède une flotte diversifiée de navires de construction, ainsi que des sites de fabrication dans le monde entier.

Le commerce mondial du pétrole et du gaz exige un réseau complexe d’infrastructures, pour fonctionner tel qu’il le fait. De grandes sociétés d’ingénierie telles que McDermott supervisent la construction et la maintenance de ces infrastructures.

Avec 8,5 Mds$ de chiffre d’affaires annualisé, McDermott est une grande entreprise. Elle possède un carnet de commandes correct, a bonne réputation et affichait encore une capitalisation boursière de 3,5 Mds$ en septembre 2018.

Alors pourquoi les actionnaires de MDR sont-ils en train de tout perdre, malgré le contexte haussier pour les actions et les obligations d’entreprises, les tonnes d’argent frais du QE de la Fed et un accord commercial de Phase I avec la Chine qui prévoit plus d’exportations de pétrole et de gaz en provenance des Etats-Unis ?

Comment cette capitalisation boursière de 3,5 Mds$ s’est-elle désintégrée en si peu de temps, entre septembre 2018 et janvier 2020 ?

L’action McDermott était considérée, notamment, comme un pari sur l’avenir des exportations américaines de gaz naturel liquéfié (GNL). Les Etats-Unis produisent l’un des gaz naturels les moins chers du monde. Il y a encore peu, le pays ne pouvait pas exporter ce gaz vers des marchés étrangers. En le refroidissant de façon spectaculaire, jusqu’à ce qu’il atteigne un état liquide, on peut le transporter outre-mer.

La construction de plusieurs terminaux d’exportation de GNL est une priorité, pour le gouvernement Trump, qui a apporté un soutien considérable sur le plan de la réglementation et des autorisations. Le président Trump a même organisé un dîner, en mai 2019, lors de l’inauguration du site GNL de Cameron, construit par McDermott et son partenaire de joint-venture Chiyoda.

Les difficultés financières de McDermott sont devenues visibles dans les résultats publiés en juillet 2019. Ce rapport a provoqué un effondrement du titre MDR qui est passé de plus de 10 $ à moins de 5 $. La société a annoncé une perte nette ajustée. La direction a revu à la baisse les perspectives pour 2019, en grande partie en raison d’un changement d’hypothèse concernant les performances attendues sur les projets issus de Chicago Bridge & Iron.

McDermott a acquis Chicago Bridge & Iron en mai 2018. Cameron et Freeport faisaient partie de ces projets. McDermott a essuyé des pertes sur ces projets car leur exécution a exigé beaucoup plus de temps et d’argent que prévu au départ.

Début septembre 2019, McDermott a annoncé la première expédition de GNL au départ de Freeport. A l’époque, la direction disait que, dans la mesure où ces contrats hérités de Chicago Bridge & Iron entraient dans le compte de résultats de McDermott, les bénéfices de l’entreprise augmenteraient. A dater du deuxième trimestre 2019, ce carnet de commandes ne représentait plus que 14% du carnet de commandes total de McDermott.

Toutefois, les perspectives annoncées par la direction de McDermott, tout au long de 2019, ont été très décevantes. Les projets Freeport et Cameron ont continué de « brûler » beaucoup plus de trésorerie que prévu.

Dans les questions fréquentes (FAQ) publiées le 21 janvier dans le communiqué de faillite, la direction a écrit que les projets Cameron et Freeport « avaient considérablement grevé les finances de McDermott et compliqué le maintien en temps voulu d’un équilibre entre les recettes provenant des clients et les dépenses réalisées sur les projets ».

Théoriquement, le QE, la faiblesse des taux d’intérêt, et un accès au crédit facile pour les entreprises auraient dû permettre à McDermott de lever des financements par l’emprunt, afin de combler le trou entre les sorties d’argent et les rentrées attendues.

Toutefois, aucun financement par l’emprunt n’a été proposé à l’entreprise dans des conditions raisonnables, et la faillite est devenue sa seule solution. L’action MDR va être retirée du NYSE et se négocier de gré à gré jusqu’à sa probable annulation.

La société prévoit que les actionnaires ne récupèreront rien, dans la mesure où les créanciers devraient se voir attribuer la totalité des fonds propres de l’entreprise restructurée. Les positions « short » [NDLR : vente à découverte/pari à la baisse] sur l’action MDR sont colossales, avec 55% des actions en circulations faisant l’objet de shorts. Tous les vendeurs à découvert vont probablement réaliser un gain de 100% sur leurs trades, même s’ils ont vendu l’action à découvert à 1 $.

Que nous enseigne cet exemple de faillite ?

Dans les entreprises complexes, très endettées et s’appuyant sur une comptabilité fondée sur les projets, les difficultés financières peuvent arriver rapidement. Alors les orientations données par la direction doivent être prises avec scepticisme.

Il faut également admettre que, même dans un contexte où les entreprises peuvent facilement emprunter, et où la situation économique est assez bonne aux Etats-Unis, il existe encore un certain rationnement du crédit. Ni le gouvernement Trump ni la Fed n’auraient rien pu faire pour empêcher cette faillite, à moins que le gouvernement ou la banque centrale ne prêtent directement de l’argent à McDermott.

Si nous étions en Chine, l’entreprise aurait reçu ce crédit. Mais ce type d’action a un prix. Le renflouement venu du gouvernement aurait empêché les créanciers d’avoir l’opportunité d’investir dans des conditions favorables dans une entreprise McDermott restructurée et plus saine.

Le système chinois consistant à faire affluer en permanence de nouveaux crédits garantit des rendements bas voire négatifs pour tous les investisseurs, et une surcapacité qui sape les marges bénéficiaires pour toutes les entreprises.

Mais heureusement, il reste un certain degré de capitalisme aux Etats-Unis, suffisamment pour conclure que le risque de faillite financière va de pair avec la récompense d’une réussite financière.

Enfin, gardez l’exemple de McDermott à l’esprit lorsque vous entendrez un scénario de trade dépendant entièrement des prédictions de « short squeeze » [NDLR : liquidation forcée des titres]. Parfois, des titres énormément « shortés », comme MDR, peuvent opérer un net rally à mesure que les vendeurs à découvert sont obligés de vendre pour couvrir leurs positions. Toutefois, ces recrudescences de shorts aboutissent souvent à un effondrement à zéro des actions dans le cadre d’une faillite.

Nous sommes en train d’identifier certaines actions qui se sont beaucoup éloignées de leurs fondamentaux. Dernièrement, elles évoluent dans l’univers des fortes capitalisations. Mais il existe des entreprises de plus petite envergure, dont la capitalisation boursière se situe dans la fourchette du milliard de dollars, et qui ressemblent à l’action MDR au moment où elle cotait entre 5 et 10 $. Nous vous recommanderons ces trades si nous pouvons trouver des options assez liquides.

Nous avons eu un excellent démarrage avec Target (NYSE : TGT), l’un de nos derniers trades réalisés dans l’univers des fortes capitalisations, après que l’action a chuté sur l’annonce d’un chiffre d’affaires décevant, pendant la saison des fêtes. Alors surveillez bien nos prochaines mises à jour pour gérer cette position.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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