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Alerte n°71 – Cette logique de bulle qui anime l’action Wayfair

Par 14 mai 2020Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Une récession profonde, avec un taux de chômage dépassant les 15%, est une période peu propice à la vente d’ameublement.

Et en particulier si vous êtes Wayfair Inc. (NYSE : W), qui gère ses finances de façon téméraire.

Gaël, notre analyste, vous a recommandé des puts sur Wayfair dans notre alerte du 6 mai 2020.

Cette action qui cotait 22 $ le 19 mars a atteint un pic à 197 $ le 12 mai. Cela représente une hausse de près de 800% en 53 jours calendaires à peine !

Une telle flambée quasi-verticale sur une action à forte capitalisation est quelque chose que l’on voit rarement, hormis pendant la bulle internet des années 1990.

Désormais, Wayfair affiche une capitalisation boursière de 18 Mds$ : ce n’est pas une « penny stock ».

Lors de la bulle internet, la logique était la suivante : « La société X affiche une hausse de 40% de son chiffre d’affaires, ces derniers trimestres, alors sa croissance sera proche de 40% au cours de la prochaine décennie. »

Ce type d’extrapolation toute simple des tendances récentes a porté l’évaluation de la plupart des valeurs technologiques a de tels sommets que, dès le mois de mars 2000, les acheteurs étaient pratiquement sûrs d’enregistrer des rendements négatifs à long terme.

La récente appréciation de l’action Wayfair pourrait se retourner en quelques mauvaises séances.

Alors si vous avez effectué des trades baissiers lorsque le titre valait 165 $, au moment de notre recommandation, et que vous êtes en perte, ils pourraient rapidement renouer avec des gains.

Car Wayfair englobe énormément d’aspects de cette logique de bulle qui anime les valeurs technologiques, ces dernières années.

L’aspect le plus remarquable de Wayfair réside dans la témérité avec laquelle la société gère ses finances.

Son bilan croule sous 2 Mds$ d’obligations convertibles. Elle fonctionne avec un fonds de roulement négatif, ce qui veut dire que son passif actuel (comme les sommes à recevoir) dépasse son actif circulant (la trésorerie et le stock).

La société déclare offrir à ses clients « une expérience de navigation motivante, un merchandising séduisant, une recherche de produits facile et des prix attractifs sur plus de 10 millions d’articles provenant de plus de 10 000 fournisseurs, (…) », et leur permettre de trouver exactement ce qu’ils cherchent tout en respectant leur budget.

Wayfair cible une clientèle féminine âgée de 35 à 65 ans, disposant d’un revenu annuel de 50 000 à 250 000 $. La société pense que cette tranche d’âge est sous-exploitée par les détaillants traditionnels ayant pignon sur rue et autres revendeurs d’équipements pour la maison.

Wayfair est capable d’offrir une vaste sélection de produits car la société maintient un stock minimum d’articles. Toutefois, même si la direction de la société affirme que son modèle économique est de type « asset-light » [NDLR : posséder le moins d’actifs possible], elle devient de plus en plus « asset-heavy » [NDLR : le contraire, donc].

Elle consacre environ 4% de son chiffre d’affaires à des dépenses d’investissement. Elle essaie de prendre en charge elle-même une plus grande partie de ses livraisons, au lieu de les externaliser auprès de tiers tels que FedEx ou UPS.

En bâtissant son propre réseau de livraison, elle pourrait mieux répondre aux commandes de meubles volumineux. Mais cela a énormément augmenté les coûts fixes de Wayfair, également.

Au bout de dix ans d’expansion économique, Wayfair n’a toujours pas démontré qu’elle était capable de supporter ses coûts fixes et variables considérables. Et maintenant que nous sommes en récession, il est peu probable que les activités de Wayfair bénéficient d’une impulsion durable, au-delà de la forte hausse temporaire de la demande provenant de clients en situation de confinement.

Une fois que les revendeurs disposant d’espaces de vente physiques rouvriront, les concurrents de Wayfair reviendront en force. Et cette concurrence affichera des prix agressifs, avec de fréquentes « liquidations », dans un contexte de récession.

Bon nombre de consommateurs américains sont surendettés et, lorsque le coronavirus a frappé, la récession aurait déjà dû se produire depuis longtemps, aux Etats-Unis.

La fin des années 2010 n’était pas vraiment le moment idéal pour s’engager dans une stratégie logistique risquée misant sur un « boom » des dépenses des ménages pour obtenir un retour sur investissement décent.

Wayfair a fait son entrée en Bourse en octobre 2014. Son cours d’introduction a été évalué à 29 $ par action.

Wayfair affiche désormais une capitalisation boursière stupéfiante de 18 Mds$. N’oubliez pas que c’est la valorisation actuelle d’une société de vente au détail très peu rentable et ne réalisant que 9,5 Mds$ de chiffre d’affaires sur une période de 12 mois.

Même si le scénario haussier sur Wayfair se concrétise, et que la société devient rentable en prenant de la maturité, la vente au détail de mobilier restera toujours une activité à faibles marges et très concurrentielle.

Voici la liste de concurrents, sur le marché américain, que Wayfair mentionne dans sa déclaration 10-K :

  • Magasins d’ameublement : Ashley Furniture, Bob’s Discount Furniture, Havertys, Raymour & Flanigan, Rooms To Go
  • Très grandes surfaces : Bed Bath & Beyond, Home Depot, IKEA, Lowe’s, Target
  • Grands magasins : JCPenney et Macy’s
  • Détaillants spécialisés : Crate and Barrel, Ethan Allen, TJX, At Home, Williams Sonoma, Restoration Hardware, Arhaus, Horchow, Room & Board, Mitchell Gold + Bob Williams
  • Vente au détail en ligne et places de marché en ligne : Amazon, Houzz et eBay

Le marché ciblé par Wayfair se limite aux ménages souhaitant acheter des meubles sur internet. Comme la plupart des clients veulent voir un canapé – ou au moins s’y asseoir – avant de l’acheter dans un magasin physique, le marché que cible Wayfair semble bien plus modeste que ne l’espère la direction.

La pression financière est telle, sur les magasins physiques, qu’il est certain que l’environnement va demeurer très concurrentiel.

Par exemple, la faillite de JC Penney est imminente car la société n’a pas honoré le remboursement d’une échéance obligataire, récemment. Elle va probablement fermer un fort pourcentage de ses magasins. Et à mesure que les dizaines de magasins JC Penney liquideront leurs stocks, au cours des prochains mois, les investisseurs haussiers sur Wayfair maintiendront-ils le titre à son évaluation actuelle lorsqu’ils constateront que leur cher détaillant en ligne est en concurrence avec des liquidations de stock ?

Et même si plusieurs concurrents de Wayfair réduisent leurs implantations physiques dans le contexte de cette récession, nous devons envisager l’une des conséquences de notre culture américaine du renflouement : le crédit bon marché et facile à obtenir fait gonfler le cours d’entreprises tels que Wayfair mais, à long terme, il grignote les marges bénéficiaires de tous les concurrents du secteur car il maintient plus longtemps en vie des entreprises à peine solvables qui ne survivraient pas autrement.

Autrement dit, une politique de renflouement appliquée à un secteur spécifique plafonne les rendements de ce secteur, même si elle limite les pertes.

Les haussiers pensent que le chiffre d’affaires de Wayfair continuera de progresser, et que les pertes d’exploitation se transformeront un jour en bénéfice d’exploitation.

Toutefois, à mesure que Wayfair se développe, l’entreprise devient moins rentable. Sa marge bénéficiaire a chuté de 24% en 2013 à 19,6% en 2019. Ses marges opérationnelles sont régulièrement négatives.

Il n’existe aucun signe que Wayfair devienne plus rentable à plus grande échelle.

Pire encore, malgré la croissance rapide de son chiffre d’affaires, la société ne génère pas assez de trésorerie pour financer son expansion. Elle est loin de l’autofinancement.

Ses flux de trésorerie disponible cumulés depuis 2014 sont négatifs, à -1,2 Mds$.

Wayfair s’appuie sur ses fournisseurs et créanciers pour financer son plan d’expansion.

Ces trois dernières années, ses créances ont plus que doublé, pour passer à 838 M$. Et sa dette totale a bondi de 30 M$ à 2 Mds$.

L’essentiel du passif de Wayfair se décompose ainsi :

  • 431 M$ d’obligations convertibles émises en septembre 2017. Le taux d’intérêt de ces obligations n’est que de 0,375% et elles arrivent à maturité en 2022. Ces obligations peuvent être converties en actions W au prix de 104 $.
  • 575 M$ d’obligations convertibles émises en novembre 2018. Le taux d’intérêt de ces obligations n’est que de 1,125% et elles arrivent à maturité en 2024. Ces obligations peuvent être converties en actions W au prix de 116 $.
  • 949 M$ d’obligations convertibles émises en août 2019. Le taux d’intérêt de ces obligations n’est que de 1% et elles arrivent à maturité en 2026. Ces obligations peuvent être converties en actions W au prix de 148 $.
  • 535 M$ d’obligations convertibles émises en avril 2020. Le taux d’intérêt de ces obligations est de 2,5% et elles arrivent à maturité en 2025. Ces obligations peuvent être converties en actions W au prix de 72,50 $.

La dernière émission d’obligations a été la plus coûteuse. Non seulement le taux d’intérêt est plus élevé que d’habitude, mais l’obligation peut être convertie à un prix d’exercice bien plus bas : 72,50 $ par action.

Lors de l’émission de ces obligations, Wayfair a versé d’importants honoraires aux banquiers de Wall Street afin d’intégrer un programme de « call cappés » [NDLR : « capped call transactions », des instruments limitant le gain de l’investisseur mais pas ses pertes] afin de réduire la dilution.

Les banquiers d’investissement ont persuadé les entreprises technologiques à croissance rapide qui « brûlent » de la trésorerie, telles que Wayfair, que ces instruments convertibles complexes sont une manière intelligente de lever des fonds. Mais ils peuvent facilement générer des difficultés financières en cas de récession.

Ces changements se reflètent tous dans l’évolution du bilan de Wayfair au fil du temps :

  • le résultat comptable de Wayfair est négatif ;
  • la société affiche un déficit cumulé de 2,3 Mds$ ;
  • la trésorerie détenue actuellement par Wayfair a été levée via l’émission d’obligations convertibles. Elle n’est pas générée par les activités de l’entreprise.

Et n’oubliez pas que ces chiffres ont été générés dans un contexte économique favorable, aux Etats-Unis, et s’accompagnant de fortes dépenses de consommation dans le secteur de l’ameublement.

Nous ignorons à quoi ressemblait le résultat de Wayfair pendant la récession de 2007-2009, mais cela a dû être violent.

J’ai constaté ce qui se passait sur les déclarations de résultat des revendeurs de meubles, en période de récession, et ce n’était pas beau à voir. Les recettes peuvent être divisées par deux, voire plus, alors qu’il est impossible de réduire d’autant les coûts fixes.

Je ne serais pas surpris de constater que les actions W finissent par chuter de 90% par rapport à leurs plus hauts, dans ce contexte de récession actuel.

Je vais aborder un dernier facteur baissier : les initiés vendent des actions.

Les « initiés » de Wayfair (la direction et les membres du conseil d’administration) revendent leurs actions à un rythme qui s’accélère. Selon Refinitiv, ces initiés ont collectivement revendu 298 M$ d’actions, ces deux dernières années. Cela représente un rythme de vente de 12 M$ par mois.

C’est le nouveau volume d’actions en circulation que le marché doit absorber chaque mois, ne serait-ce que pour maintenir le cours de W proche de son niveau. Cette accélération des ventes est un signe manifeste que les initiés ne sont pas aussi enthousiastes que les investisseurs sur les perspectives d’avenir de Wayfair.

Les résultats de Wayfair pour le 1er trimestre, publiés le 5 mai 2020, n’ont pas vraiment surpris. En effet, la direction avait déjà publié un communiqué de presse vaguement optimiste, le 6 avril, actualisant les tendances de ses activités dans le sillage du coronavirus :

 

« Après avoir abordé le mois de mars avec une progression du chiffre d’affaires brut légèrement en-dessous de 20% d’une année sur l’autre, ce qui est cohérent avec les taux de croissance de janvier et février, le taux de croissance de Wayfair a plus que doublé vers la fin du mois de mars. Cette augmentation s’est poursuivie jusqu’à début avril. »

 

Par conséquent, le marché a interprété que le taux de croissance de Wayfair s’approchait des 40% début avril 2020. Mais ce taux de croissance ne va pas durer. En fait, c’est probablement le meilleur taux de croissance que Wayfair enregistrera sur tout l’exercice 2020.

A travers les Etats-Unis, les procédures de confinement ont déclenché une flambée des commandes en ligne de meubles et d’articles de décoration. C’est un phénomène similaire à celui du stockage de provisions.

Toutefois, cette frénésie d’achats pourrait être suivie de lendemains qui déchantent. Sur le reste de l’année 2020, les taux de chômage qui feront les gros titres seront redoutables, et la confiance des ménages s’effondrera.

En attendant, Wayfair a embauché de nouveaux salariés à un rythme effréné depuis des années. Les frais fixes tels que le coût des salaires ont grimpé à un rythme bien plus rapide que son chiffre d’affaires.

Le communiqué de presse du 6 avril ne mentionnait pas les pertes nettes ou la trésorerie « brûlée » au 1er trimestre, défavorables. Lorsque les chiffres complets ont été publiés, la semaine dernière, nous avons découvert que le flux de trésorerie disponible de Wayfair était de -355 M$, au 1er trimestre.

La prise de conscience que la hausse du chiffre d’affaires de Wayfair va se retourner, ajoutée à un ralentissement brutal des dépenses de consommation à la mi-2020 dans le secteur de l’ameublement, sont des catalyseurs assez puissants pour faire baisser l’action W bien en-dessous de 100 $ d’ici mi-2020.

Cette action est très volatile, avec énormément de ventes à découvert chez certains investisseurs qui couvrent des positions constituées d’obligations convertibles.

En conséquence, une chute de 50% de l’action Wayfair sur un seul mois n’aurait rien de surprenant.

Gaël vous enverra des actualisations concernant vos puts sur Wayfair.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

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