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eSSW – Intermédiaire financier : la violence silencieuse du risque de soumission

Cher investisseur,

J’ai eu plusieurs fois l’opportunité de vous suggérer de privilégier une détention directe de votre épargne placée en métaux précieux. Ce qui motive cette orientation est évident : éviter les intermédiaires qui pourraient, volontairement ou sous une contrainte extérieure, ralentir voire bloquer l’accès à votre épargne.

La situation du Venezuela aujourd’hui illustre parfaitement le risque encouru par un épargnant lorsqu’il place sa confiance dans des intermédiaires pour assurer la garde de ses biens. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement quelconque sur le gouvernement vénézuélien et ses agissements, mais de s’intéresser à la relation de confiance qui doit, ou plutôt devrait, exister entre l’épargnant et l’entité assurant le stockage de métaux précieux.

Le Venezuela, tout le monde le sait, regorge de pétrole. Le pays est un des membres fondateurs de l’OPEP. Son sous-sol héberge environ 20% des réserves mondiales d’hydrocarbure. Pendant de longues décennies ce pétrole a été exploité principalement par des sociétés américaines avant que l’exploitation du pétrole vénézuélien soit entièrement nationalisée en 1976 et confiée à la société d’État PDVS (Petróleos de Venezuela S.A.).

Les gouvernements vénézuéliens se sont succédé utilisant à chaque fois la manne du pétrole pour pallier les lacunes de gestion de l’État. Cette manne n’a pas été mise à profit pour développer des alternatives économiques à la dépendance pétrolière et de plus n’a pas été non plus utilisée pour investir dans l’exploration de nouveaux gisements ou investir dans de nouvelles infrastructures. L’effondrement de la production et des exportations a entraîné de fait une crise économique, monétaire et sociale de grande magnitude.

Cette manne pétrolière a, initialement, fait du Venezuela un pays riche grâce à ses exportations. Du fait d’excédents commerciaux imposants, la banque centrale a considérablement accru ses réserves de devises et d’or jusqu’à détenir en 1958 environ 640 tonnes d’or.

Les années fastes ne devaient malheureusement pas durer éternellement. L’or vendu sur les marchés venait compenser la baisse des recettes provenant des exportations de pétrole. Hugo Chávez élu président en 1999 utilisait la hausse opportune du prix du pétrole pour financer sa politique de large distribution d’argent public.

En 2011, Chávez annonçait le rapatriement de 211 tonnes d’or (1) détenues à New York, Londres et Zurich. Derrière cette annonce, les experts cherchaient à en comprendre la raison. L’explication la plus plausible tenait au différend opposant le Venezuela et les États-Unis. En effet la politique de nationalisation-confiscation-expropriation de Chávez a pénalisé de nombreuses entreprises américaines (McDonald’s, Coca-Cola, PepsiCo, Wendy’s, ExxonMobil, ConocoPhilips, etc.). Les actionnaires de ces entreprises demandant réparation auprès d’instances d’arbitrage internationales, le Venezuela courait le risque de se voir appliquer des sanctions sur ses avoirs à l’étranger. En outre, malgré ces nationalisations, le socialisme à la Chávez n’a jamais été en mesure de maintenir les rendements de ces avoirs nationalisés (dont des terres agricoles).

En 2013, Nicolas Maduro succédait à Chávez. La même politique de distribution des revenus du pétrole était menée jusqu’en 2015. À partir de 2015, l’effondrement du prix du brut mettait en lumière la fragilité de l’économie vénézuélienne. Les réserves de devises étrangères se sont soudainement évaporées et la croissance économique du Venezuela s’est effondrée, générant rareté alimentaire, inflation monétaire et misère sociale.

L’or était désormais la seule réserve monétaire dont le Venezuela disposait et qui lui permettait de payer ses importations vitales. Le solde des réserves d’or détenues à Londres a donc été utilisé pour des opérations de financement via des swaps (prêt de devises, 30 à 40 tonnes d’or servant de caution) avec Deutsche Bank, des cessions d’or en échange de marchandises (Turquie) et des cessions contre devises (EAU).

Néanmoins la situation se dégradant encore et l’opposition trouvant de plus en plus d’écho dans les médias américains, les craintes d’un gel des avoirs vénézuéliens à l’étranger poussaient Maduro à demander en septembre 2018 à la Banque d’Angleterre (BoE) le rapatriement de 14 tonnes d’or appartenant à la Banque centrale du Venezuela.

La réponse de la Banque d’Angleterre a été des plus surprenantes. Selon un officiel cité par Reuters, la BoE aurait demandé à la Banque centrale du Venezuela « ce qu’elle comptait faire de cet or ». A ce jour, l’or du Venezuela est toujours à Londres. Imaginez un instant que vous confiiez vos métaux précieux à votre banque et que le jour où vous souhaitez les retirer, le banquier derrière son guichet vous demande droit dans les yeux : « je ne vous les donne pas si vous ne me dites pas ce que vous comptez en faire ! ».

Dans les faits, la BoE a joué la montre en attendant que le président américain promulgue son ordonnance imposant des sanctions économiques à l’endroit du Venezuela (Executive Order 13850 du 1er novembre 2018).

Les États-Unis sont donc bien derrière tout ceci. Ceux-ci mettent en avant des principes humanitaires qui font pleurer dans les chaumières. En fait, le Gendarme du Monde – sobriquet qui n’a jamais été aussi bien porté – se positionne aujourd’hui pour mettre la main sur le pétrole du Venezuela et reprendre la place qu’il y avait avant les nationalisations. Les États-Unis nous ont habitué à ces décisions unilatérales (dénonciation par exemple de l’accord avec l’Iran, sanctions contre la Russie après le coup d’État américain en Ukraine, verrouillage des flux financiers vers Wikileaks, amendes aux banques étrangères ayant laissé passer des flux vers l’Iran, etc.). Rien de très étonnant donc à ce stade, les États-Unis privilégiant comme d’ordinaire leurs intérêts sans tenir compte des autres.

Ce qui est plus inexplicable, c’est la décision de la BoE de jouer le jeu américain et de céder à des arguments d’opposants politiques en exil. Alors que plusieurs pays ont déjà rapatrié leurs avoirs en or, Autriche, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Hongrie, Turquie (a rapatrié son or depuis les USA), Équateur, cette décision vient apporter de l’eau au moulin des angoisses des banquiers centraux et des dirigeants politiques sur le niveau de sécurité de leurs réserves d’or.

Mettre en dépôt quelques tonnes d’or à Londres dans les coffres de la BoE est une démarche qui repose sur la confiance. Jusqu’alors, la BoE avait une réputation mondiale dans ce domaine. Dès lors que la BoE démontre qu’elle est aujourd’hui soumise, non plus aux clauses contractuelles qu’elle a signées avec ses clients, mais aux pressions politiques américaines, la crédibilité de l’établissement est sérieusement ébréchée. La suspicion gagne certains États (Australie) qui jusqu’à présent n’auraient jamais osé imaginer que la Banque d’Angleterre puisse être un partenaire non fiable.

Comme le résume si bien ce proverbe italien : 

« Celui qui est capable de tromper une fois est traître pour toujours. »

Excellente semaine,

Yannick Colleu

 

(1) En fait seules 160 tonnes, environ, seront rapatriées.

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