Le journaliste italien Francesco Canepa, correspondant de Reuters à Francfort, rapporte les propos ci-dessous tenus par le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à l’endroit de deux membres du Parlement européen de nationalité italienne :
« La Banque centrale européenne doit approuver à la fois les opérations sur les réserves de change [nota : devises étrangères sous diverses formes, droits de tirage spéciaux du FMI ou DTS, apports dans les réserves du FMI et or monétaire] détenues par les banques centrales nationales … et les opérations courantes en devises des États membres supérieures à un certain seuil. Cette compétence a pour objectif d’assurer la cohérence entre le taux de change et la politique monétaire de l’Union. »
Mario Draghi a lâché cette petite bombe à l’intention principalement du gouvernement italien mais c’est aussi une petite musique destinée à tous les gouvernements des pays de la zone euro qui pourraient être tentés de négocier leurs avoirs en or sur le marché pour atténuer le fardeau de leur endettement ou de leur déficit.
Chaque pays de la zone euro a apporté en rejoignant ce club restreint une part de ses réserves en or dans la corbeille de mariée de la BCE. Cette corbeille pèse aujourd’hui 504,77 tonnes d’or, ce qui représente à peine 19 Mds€. Néanmoins l’ensemble des avoirs détenus par les banques centrales nationales représente un magot beaucoup plus important valorisé à 402,362 milliards fin février 2019 dans le bilan de la BCE.
Historique de la valorisation des réserves d’or de l’Eurozone (Mds€)
Source : BCE
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Les plus importantes contributions viennent de l’Allemagne, de l’Italie et de la France. Ces trois pays représentent en effet à eux seuls plus de 76% des réserves en or des pays de l’Eurozone.
Situation fin mars des avoirs en or monétaire des pays de la zone euro
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La zone euro est donc la première zone monétaire en terme de réserve d’or ; les États-Unis avec 8 133 tonnes venant juste derrière.
Mario Draghi a déjà affirmé par le passé le rôle important joué par ces réserves dans l’affirmation de la souveraineté monétaire. Avec ces nouveaux propos il réaffirme ce rôle et entend ne pas laisser les gouvernements qui seraient tentés de céder à la facilité en bradant leur métal jaune pour ajuster leur budget.
Mario Draghi sait qu’il y a eu des précédents. La France a en effet expérimenté un épisode de ce genre dans les années ayant précédé la dernière crise systémique. L’or ayant servi alors de variable d’ajustement pour satisfaire à des critères technocratiques budgétaires.
Historique des ventes d’or de la Banque de France
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Il aura ensuite fallu cette crise pour soigner la lobotomie des politiciens et des banquiers centraux et que l’or soit de nouveau considéré comme un actif de premier ordre.
Depuis 1999, les banques centrales européennes (et pas uniquement celles de la zone euro) se sont engagées à respecter des règles strictes pour la vente d’or sur le marché de façon à éviter de déstabiliser le prix du métal. L’accord signé entre ces banques, le Central Bank Gold Agreement (CBGA ou Accord des banques centrales sur l’or) en est aujourd’hui à sa quatrième phase (CBGA4). Chaque phase a débuté par la définition d’un niveau annuel maximum pour le cumul des cessions. Le graphique ci-dessous reproduit l’évolution des cumuls de vente (de septembre à septembre) et les niveaux maximum imposés à chaque phase.
Légende : Historique des ventes annuelles cumulées des pays du CBGA
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Si avant la crise de 2008 il a été nécessaire d’imposer des limites pour éviter que les banques centrales n’inondent d’or le marché et prévenir ainsi un effondrement du prix, depuis cette crise la situation a considérablement évolué. Désormais, ne sachant de quoi demain sera fait, chacun garde précautionneusement son métal jaune. Même sans imposer de limite, les ventes sont devenues insignifiantes et limitées à quelques besoins d’émission de monnaies commémoratives.
Au même moment, tirant les leçons de la crise de 2008, les gouvernements chinois et russe se sont engagés dans des programmes d’acquisition systématique d’or monétaire. Aujourd’hui les avoirs chinois et russes sont proches de dépasser ceux de la Banque de France. Sachant que l’information sur les réserves d’or relève pour la Chine du secret d’État, il est très probable que le niveau officiellement divulgué est très sous-estimé. Comme le révèle le graphique ci-dessous le gouvernement chinois révèle par pallier le niveau de ses réserves.
Historique des réserves d’or de la France, de la Russie et de la RPC
Source : gold.org
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En 2018 la Russie mène une fois de plus, et de loin, le groupe des pays acquéreurs d’or avec 274,3 tonnes ajoutées à ses réserves après les 223,5 tonnes ajoutées en 2017.
Accroissement par pays des stocks d’or des banques centrales en 2018
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Ces deux pays, Chine et Russie, se sont engagés dans une véritable course à l’accroissement de leurs réserves.
Leur objectif est le même que celui de Mario Draghi : la crédibilité de leur monnaie par l’adossement à des réserves métalliques et non à des devises de Monopoly.
Je vous souhaite une très bonne semaine,
Yannick Colleu