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Manque d’oxygène

Par 4 avril 2019Alertes

« Le réel me donne de l’asthme ».

Emil Cioran

Chère Lectrice, cher Lecteur,

00:00 Avez-vous déjà fait une crise d’asthme ? Pour votre correspondante, coincée en ce moment entre pollens et particules fines, l’heure est aux nuits blanches, aux quintes de toux… et à la sensation que le manque d’oxygène commence à affecter sérieusement mes capacités cérébrales.

(« Pas du tout », vous diront mes collègues. « Elle est toujours comme ça ».)

Eh bien, j’ai le sentiment qu’il en va de même pour l’économie actuellement : inconfort… respiration sifflante… stress pulmonaire…

… Combien de temps avant l’anoxie cérébrale ?

Main tendue vers un inhalateur

Les signaux d’alarme se multiplient, en tout cas – et ils sont à la fois utiles et faciles à suivre, pour qui veut prendre un peu d’avance et se préparer.

00:45 Simone Wapler nous en révèle un dans La Chronique Agora : l’évolution du déficit budgétaire gouvernemental.

Explications :

« En France aussi, il est très important de suivre mensuellement le budget de l’Etat. Un gros déficit sera le signe avant-coureur de la crise.

Souvenez-vous de novembre 2018 et du premier rassemblement des gilets jaunes. Ils ont été poussés sur les ronds-points par une augmentation de la taxe sur le diesel.

Cette augmentation était brutale et le motif donné (fiscalité verte, changement climatique) inepte. Les deux bons ingrédients pour une révolte fiscale classique étaient en place : taxe imprévue et explication mensongère. N’importe quel énarque a cependant une petite culture historique des révoltes fiscales. Donc pourquoi une telle mesure ?

Parce que, justement, le déficit mensuel de l’Etat français était béant, comme le démontrait implacablement dès le début de l’affaire des gilets jaunes Eric Verhaeghe ; la taxe sur le diesel était un expédient pour faire rentrer de l’argent en urgence ».

Augmentation prix du carburant

01:15 Contrairement aux apparences, ce ne sont donc pas les gilets jaunes, les indicateurs de crise… mais bien la décision qui les a précédés. Simone précise encore :

« Les quatre impôts majeurs qui composent 80% des recettes de notre Etat boulimique sont l’impôt sur les sociétés (IS), l’impôt sur le revenu (IR), la TVA et la taxe intérieure sur le carburant (TICPE). C’est cette dernière recette que l’Etat a voulu rapidement augmenter, le reste étant plus difficile à faire en passant sur le ventre du parlement. D’autant plus qu’Emmanuel Macron s’est engagé à baisser l’impôt sur les sociétés.

Pour rappel : sauf si vous croyez au Père Noël, on n’a jamais vu des baisses d’impôts sans baisse des dépenses publiques.

Depuis 2017, les recettes fiscales s’infléchissent (malgré tout ce que nous payons en impôts) et au 30 septembre 2018, le déficit devenait un vrai problème. D’où l’urgence.

Le déficit mensuel devient un indicateur pertinent de future crise budgétaire, aux Etats-Unis comme en France ou en Italie. »

01:45 Car oui, contrairement aux apparences, la situation n’est guère plus brillante aux Etats-Unis, analyse Jim Rickards dans le dernier numéro d’Intelligence Stratégique :

« Derrière le rideau du discours médiatique, on a quelque raison de se faire du souci pour l’économie [américaine]. La production manufacturière est en baisse, aussi bien d’un mois sur l’autre que d’une année sur l’autre. L’utilisation des capacités américaines affiche une légère baisse, dernièrement. 

Certains indices répertoriant les nouvelles commandes et les expéditions sont aussi en baisse, manifestement. Les importations et les déficits commerciaux ont également nettement augmenté. La courbe des rendements s’est inversée dans le secteur des bons du Trésor à deux et cinq ans. Aucun de ces indicateurs ne baisse vers des niveaux extrêmes, et aucun autre indicateur n’affiche des résultats positifs. […] 

Les partisans de Trump ont affirmé que les 4,2% de croissance annuelle du deuxième trimestre 2018 prouvent que les mesures économiques du président font revenir les États-Unis sur la voie d’une croissance supérieure à son niveau tendanciel. A l’époque, mon opinion était la suivante : la croissance du deuxième trimestre était un pic ponctuel provoqué par la baisse d’impôts de fin 2017 (effective au 1er janvier 2018), mais il fallait davantage de données avant de tirer des conclusions.  

A présent, les données sont là. La croissance a baissé de 4,2% à 3,4% au troisième trimestre avant de chuter encore à 2,6% au quatrième trimestre. Les estimations de la Fed d’Atlanta concernant le premier trimestre 2019 tablent sur une croissance annuelle de 0,4% seulement. Bref, le ‘Trump Bump’ [NDLR : rebond Trump] est terminé, et la croissance américaine retourne à sa tendance post-2009 de 2,24% (bien au-dessous de la tendance à long terme de 3,23%, enregistrée après les années 1980) ».

Main tendue vers un inhalateur

2,24%, ce n’est pas mal, vous dites-vous peut-être — en tout cas, mieux que ce qui attend la Zone euro. C’est vrai. Mais malheureusement, ça ne suffit pas à soutenir une situation insoutenable : la dette colossale sous laquelle croulent les Etats-Unis…

… A qui il faut 3% de croissance au moins s’ils veulent continuer à respecter leurs engagements.

Vous la voyez venir, la crise ?

02:45 Autre intervenant qui a manqué d’oxygène – ce qui est sans doute un autre indice que les choses ne vont pas si bien en ce moment –, Lyft, le champion de VTC. Son IPO a eu lieu il y a quelques jours (difficile de la rater…), mais les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes.

James Altucher examine cela en détails dans une alerte Top 1%, et en tire des leçons bien utiles à retenir pour toute future IPO :

« La manière dont une entreprise et ses banquiers d’investissement gèrent le pricing d’une IPO contribue grandement à déterminer le succès de cette IPO… ou le fait qu’elle se transforme en gouffre financier menant au désespoir boursier.  

[…] Lorsque Lyft a commencé à discuter du pricing de son IPO, un canal de 62$-68$ était envisagé.  

Certes, un banquier préfère que le prix d’une IPO ne soit pas dans le bas du canal – parce que cela suggère que la demande est faible pour les actions –, mais j’avais le sentiment qu’à un prix au-delà de 68$, le titre risquait d’être rapidement vendu.  

Disons simplement que lorsque Lyft a annoncé que ses actions seraient proposées au public à 72$ le 29 mars 2019, et que la demande en préouverture a fait grimper ce prix jusqu’à près de 90$, j’ai dit une prière silencieuse pour les petits porteurs en costume de pigeon qui étaient sur le point d’être douloureusement plumés.  

Voyez-vous, lorsque Lyft a commencé à coter aux environs des 87$, il n’y avait aucun sens, pour quiconque avait la possibilité de vendre ses actions, à ne pas le faire.  

C’est exactement ce qu’il s’est passé.  

Les actions Lyft auraient pu attirer des acheteurs dans le canal des 68$-72$, si elles avaient été plus raisonnablement valorisées dès le premier jour. Mais en voyant des prix dépassant les 87$, les acheteurs potentiels sont rentrés dans leur terrier.  

Aujourd’hui, les actions Lyft cotent aux alentours des 70$, sous les 72$ officiels de l’IPO et bien loin de leur sommet de lancement : 88,60$, atteint durant la deuxième minute de trading officiel. 

Pire encore, l’IPO de Lyft est officiellement ratée« .

03:45 Ce n’est pas le seul problème, bien entendu. Au-delà du « simple ratage » de l’introduction en bourse, Lyft présente des risques sous-jacents franchement inquiétants :

« Lyft a révélé avoir engrangé environ 2,2 Mds$ de recettes en 2018. Mais en générant ces ventes, l’entreprise a réussi à perdre plus de 911 M$ ! 

Ces 911 M$ dans le rouge en 2018 dépassent de loin ses pertes de près de 683 M$ en 2016 et 688 M$ en 2017.  

Je me fiche que Lyft se soit donné pour but de ‘révolutionner le transport’, comme l’affirme l’entreprise dans le document S-1 déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC, l’équivalent de l’AMF en France). Les investisseurs par la croissance aiment peut-être la croissance des recettes… mais ils veulent aussi investir dans des entreprises ayant des douves profondes (un avantage compétitif) et s’attendent tout de même à ce que l’entreprise finisse par engranger un profit net.  

À part une appli très cool – qu’Uber a aussi, au passage – et une longueur d’avance dans l’économie de partage, je ne vois pas le besoin ou la logique qu’il y a à posséder des actions Lyft à la valorisation actuelle.  

Bref, Lyft ouvre la porte à ses passagers d’une main… tout en jetant autant d’argent que possible par les fenêtres de l’autre main ».

04:15 Lyft est parfaitement symptomatique d’un phénomène qu’analyse Jawad Mian dans Opportunités Technos — et auquel pas mal d’investisseurs se sont brûlé les ailes :

« Lors de leurs introductions en Bourse, les licornes actuelles lèvent près de quatre fois la moyenne historique enregistrée par les entreprises technologiques soutenues par le capital-risque. Les taux de cash ‘brûlé’ sont plus élevés, dans la mesure où les entreprises dépensent sans compter pour devenir le gagnant qui rafle tout. 

Pour John Colley, professeur à l’Université de Warwick, ‘les investisseurs font fi des indicateurs traditionnels, et la progression du nombre d’utilisateurs est prise comme un signe de future  rentabilité’. 

‘Le rôle du capital-risque consistait à vous apprendre comment transformer votre idée en entreprise rentable’, déclare Steve Blank, créateur du mouvement Lean Startups : 

‘Le rôle du capital-risque, à présent, relève de la théorie du plus idiot (‘Greater fool theory’)… Ce n’est plus un jeu honnête.’ 

Nous pensons que les introductions en Bourse des sociétés de covoiturage Lyft et Uber sifflent la fin de partie pour le processus de ‘création de valeur’ du capital-risque, de même que pour la bulle de la Silicon Valley.

 Le secteur du capital-risque a bien voulu subventionner pendant des années des pertes colossales générées en vue de dominer le marché, ou des taux de croissance artificiels, qui permettaient de faire grimper la valorisation des investissements et de lever des fonds plus importants.

Toutefois, à mesure que ces entreprises seront introduites en Bourse, les investisseurs voudront y voir plus clair en ce qui concerne leur rentabilité à long terme, même si c’est aux dépens de la croissance ».

Regarder les fondamentaux sans se laisser prendre aux sirènes de la pub et du battage médiatique afin de trouver les meilleures valeurs possibles : cela peut sembler parfaitement évident… et pourtant, visiblement, l’industrie financière a du mal à retenir la leçon.

Un petit coup de Ventoline, peut-être, histoire de restaurer l’oxygénation du cerveau de ces messieurs-dames ?

Françoise Garteiser
Les Marchés en 5 Minutes

 

★★★ Le chiffre du jour ★★★
7
C’est le nombre de bombes à retardement économiques et financières qui tictaquent actuellement au-dessus de nos têtes.L’explosion pourrait être douloureuse… mais heureusement, vous pouvez encore prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger votre épargne : tout est expliqué ici
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