Skip to main content

Alerte n°34 – La saturation du secteur des applications de livraison de repas a fait dégringoler Grubhub

Par 15 novembre 2019Alertes

Dan Amoss

Cher lecteur,

Le 28 octobre, le secteur de la restauration a reçu de mauvaises nouvelles sous forme d’un sensationnel « profit warning » [NDLR : annonce que les bénéfices vont être inférieurs aux attentes] émis par Grubhub Inc. (NYSE : GRUB).

Dans notre commentaire du 4 octobre dernier, nous vous avions signalé la saturation du secteur des applications de livraison de repas, et son caractère « disruptif » pour le secteur de la restauration.

Aux Etats-Unis, en tapotant quelques secondes sur les écrans de leur smartphone, les consommateurs vivant dans la plupart des zones urbaines et périurbaines peuvent se faire livrer des repas provenant de centaines de restaurants.

Depuis l’arrivée et l’adoption rapide des applications de livraison de repas – notamment Grubhub, Uber Eats, DoorDash et Postmates – tous les restaurants ont dû se livrer à une concurrence plus intense sur les livraisons de repas.

Les revenus des restaurants ont bénéficié de l’ouverture de nouveaux marchés. Toutefois, nous pensons qu’au cours des prochains trimestres, bon nombre de restaurants vont publier des marges bénéficiaires décevantes, sur cette nouvelle activité.

Nous avons également signalé que les sociétés spécialisées dans ces applications de livraison – et élaborant leurs déclarations financières en vue d’une introduction en Bourse (« IPO ») – étaient prêtes à tout pour entretenir un fabuleux scénario de croissance de leurs revenus, et qu’il était donc probable qu’elles poursuivraient leurs opérations promotionnelles, de même que les restaurants.

Le krach spectaculaire – fin octobre – de l’action Grubhub, a confirmé notre hypothèse selon laquelle le surinvestissement dans le secteur des applications de livraison de repas profite aux consommateurs au détriment des sociétés proposant ces applications, et des restaurants.

L’action GRUB s’est effondrée de 43% sur une seule séance : elle est passée de 58 $ à 33 $ le 29 octobre. Le catalyseur a été un profit warning concernant la rentabilité à long terme du modèle économique de Grubhub.

Pour resituer le contexte, l’action GRUB a enregistré un pic à plus de 149 $ en septembre 2018. Et donc, pendant plus d’un an, les investisseurs ont sous-estimé la surpopulation de l’écosystème des applications de livraison de repas.

Le fondateur et PDG de Grubhub, Matt Maloney, a écrit une lettre très honnête aux actionnaires. Vous pouvez accéder au PDF ici (en anglais).

En voici un extrait essentiel :

« Nous pensons que les clients sont de moins en moins fidèles. Pendant des années, nos données ont indiqué que la clientèle de Grubhub était extrêmement fidèle à notre plateforme. Toutefois, nos nouveaux clients s’adressent de plus en plus à nous après avoir déjà commandé sur des plateformes concurrentes, et notre clientèle existante commande de plus en plus sur de multiples plateformes. Nous constatons que cette dispersion est plus importante au sein de notre nouvelle clientèle, et sur nos marchés les plus récents, mais qu’elle se produit dans une certaine mesure sur toute notre base-clients. Nous pensons que cette dynamique concurrentielle a eu un impact de 300 [points de base], voire plus, sur notre taux de croissance au 3e trimestre. »

Maloney a également évoqué ce qu’il considère comme une idée fausse, dans le secteur de la livraison de repas :

« Il existe une idée fausse, dans ce secteur, selon laquelle d’énormes volumes simultanés – de repas ou autres – réduiraient concrètement les coûts logistiques. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut rémunérer suffisamment quelqu’un pour qu’il prenne sa voiture et se rende au restaurant pour récupérer et livrer une commande à un client. Cela prend du temps, et les chauffeurs doivent être correctement rémunérés pour ce temps, ou bien ils vont voir ailleurs. »

En réponse à une question posée lors de la conférence téléphonique commentant les résultats de Grubhub, Maloney a répondu ce qui suit :

« Cette idée fausse selon laquelle énormément d’activité rend votre réseau de livraison plus efficace, nous l’évoquons dans [la lettre aux actionnaires] car nous entendons énormément de rumeurs autour de services permettant de se faire livrer à partir de magasins de proximité, des livraisons Walmart, de tous ces différents services de livraison que peut réaliser votre équipe de livreurs, et la justification qu’il y aurait une sorte de baisse asymptotique faisant chuter les coûts marginaux à zéro.

Mais ce n’est pas vrai. Alors nous l’avons exprimé clairement. Il faut environ une demi-heure pour faire quelque chose, aller chercher ce quelque chose, le transporter à un endroit et le livrer au client. C’est clair, il existe une opportunité de grouper [différents services de livraison], dont nous avons déjà parlé, et tout le monde tente d’en décrypter le code. Mais cela ne va pas produire un lieu où il coûte un dollar de livrer quelque chose, même si vous livrez à travers tout le pays toutes sortes de choses livrables.

Alors je pense qu’on a simplement remis en question ce raisonnement-là : « Hé ! On va occuper à fond tous nos livreurs indépendants, et on va constater que nos coûts marginaux retombent à zéro, et on fera plein de profits ». Je pense qu’il y a énormément d’arguments bidon qui circulent, dans notre secteur, lorsque vous tentez de justifier un surcroît d’injections de capitaux. Et donc nous essayons juste de remettre en question ces idées fausses lorsque nous les identifions. »

C’est une façon brutale de démonter le modèle économique d’Uber et de sa plateforme Uber Eats sans jamais désigner nommément Uber.

Il y a fort à parier qu’Uber exerce un grand nombre d’activités non économiques dans le but d’entretenir le scénario de croissance de ses revenus. Alors nous recommandons de conserver vos distances avec cette action, même si elle se négocie très en-dessous de son cours d’introduction en bourse.

Nous pouvons également en conclure que les restaurants vont probablement lancer des profit warnings sur ces nouvelles activités de repas livrés au clients via les fournisseurs d’applications.

Les résultats publiés fin octobre par la société sur laquelle nous avions parié à la baisse, Yum! Brands (NYSE : YUM), ont déçu les attentes, et l’action se négocie désormais bien en-dessous de son pic de début septembre.

Le propriétaire des enseignes KFC, Taco Bell et Pizza Hut est très endetté et revendique un modèle économique de franchise attractif, de type « asset light » [NDLR : l’entreprise possède peu d’actifs immobiliers].

L’un des principaux franchisés de YUM, NPC International, a été évoqué lors de la conférence téléphonique commentant les résultats de YUM.

NPC est le plus grand exploitant au monde de la franchise Pizza Hut, et est en grande difficulté sur le remboursement de son énorme dette. Interrogé à son propos, David Gibbs, le directeur opérationnel, a déclaré ce qui suit :

« Les activités de Pizza Hut aux Etats-Unis, comme nous en avons déjà discuté, sont confrontées à des difficultés exceptionnelles vu la « restauration à la table », le nombre de sites, l’état de ces actifs ainsi que leurs localisations. Et donc, c’est ce que nous essayons de résoudre en évoluant vers des sites de livraison plus modernes et en permettant à l’entreprise d‘être en bonne santé sur le long terme. 

Malheureusement, beaucoup de franchisés, ou certains franchisés, sont endettés, ce qui complique la relocalisation de ces actifs, et c’est ce sur quoi nous travaillons avec ces personnes, pour que ces sites soient confiés à de bons partenaires disposant de financements permettant de développer l’activité. Il ne s’agit pas de la majorité de nos franchisés. La majorité de nos franchisés sont de bons partenaires et font du bon travail. Mais comme vous le savez, le secteur de la restauration rapide est soumis à la pression des salaires, en ce moment, et c’est une pression qui s’exerce sur les finances des franchisés et au niveau de chaque site. »

Donc, non seulement YUM est très endettée, mais l’un de ses principaux franchisés l’est aussi. Ce n’est pas une combinaison très saine. Les marges bénéficiaires des franchisés vont probablement encore baisser.

Les restaurants ont des coûts fixes.  Il y a tellement de restaurants qu’en période de crise ils doivent rapidement réduire les prix et mettre en avant des menus promotionnels.  Le phénomène des applications de livraison de repas ne fait que renforcer la transparence des prix aux yeux des consommateurs, par rapport à autrefois.

Gaël, notre analyste, vous a recommandé de clôturer votre position sur YUM en réalisant un joli gain, en octobre.

Nous gardons un œil sur ce secteur pour repérer un nouveau trade pariant sur la baisse d’un acteur de la restauration.

Bien à vous,

Dan Amoss, CFA
Analyste

FERMER